Léon Tolstoï (1828-1910)
En suivant la grande route, j’entendis quelqu’un crier derrière moi. Je me retournai et j’aperçus un jeune pâtre qui traversait la prairie en courant et me désignant quelque chose du doigt.
Je suivis du regard la direction de son doigt et je vis deux loups qui couraient dans les champs : l’un était vieux, l’autre jeune.
Le jeune emportait un agneau égorgé qu’il retenait par la patte; le vieux suivait par derrière.
À la vue de ces loups, je me mis avec le pâtre à les poursuivre, et tous deux nous criâmes au secours.
Nos cris firent accourir les moujiks avec leurs chiens.
Aussitôt que le vieux loup aperçut nos chiens, il s’approcha de l’autre loup, saisit l’agneau, le jeta sur son dos, et tous deux disparurent bientôt.
Alors, le gamin nous raconta comment la chose s’était passée.
Le vieux loup, sortant tout à coup du ravin, avait saisi l’agneau, l’avait égorgé et l’emportait, lorsque le plus jeune vint à sa rencontre.
Le vieux lui avait laissé porter l’agneau, tout en veillant au butin; ce fut seulement au moment du danger que le vieux, oubliant tout dressage, avait repris l’agneau, et s’était sauvé avec sa proie.