Vous avez cru que tout était fini pour la maison de Charles X; vous avez appris que le roi déchu avait pris son parti en philosophe chrétien, qu’il s’était arrangé de nouvelles Tuileries dans l’humide château d’Holy-Rood; qu’il avait rebâti à son usage une salle du trône, une salle des maréchaux (innocentes consolations d’un trône perdu!). On vous a dit les courses aventureuses de la duchesse de Berry à travers les comtés anglais, et son séjour chez l’ambassadeur de Naples. Eh bien, voilà qu’une nouvelle ruine commence pour cette famille infortunée!… elle reparaît sur le théâtre de malheurs où elle a été tenue pendant trois jours, à Paris, au milieu des terreurs de l’Europe. Allons! courage! au no 21 de la rue de Cléry, vous verrez ce nouveau désastre. Pour ma part, il me semble que cette seconde humiliation vaut bien la première, que cet outrage est le pire de tous.

Je conçois en effet le siége des Tuileries, glaces brisées, meubles saccagés.—Le portrait du roi, par Gérard, effacé des galeries du Louvre; je comprends l’invasion des appartements de madame la duchesse de Berry par ce peuple ivre à la fois de vin et de fureur… ce que j’ai peine à concevoir, ce sont les ventes à l’encan, et les plus vulgaires dépouilles de ces augustes fugitifs, flottant au gré des vents, en attendant un acheteur.

Hélas! c’était là un signe de malheur qui manquait aux races abolies! Bajazet, dans sa cage, servant de marche-pied à son vainqueur, n’aurait pas compris le degré d’humiliation attaché à la vente de ces dépouilles d’un intérieur de femme et de princesse, exposées soudain au grand jour.

Par exemple, avez-vous jamais réfléchi, en passant devant la boutique d’une revendeuse, à tout ce qu’il y avait de hideux en cet amas de guenilles étalées au hasard? Arrêtez-vous, par pitié, devant cette horrible porte et regardez! Quel immonde entassement! Des nippes de femmes, des habits d’hommes, de vieilles chaussures, de vieux chapeaux! Les meubles les plus sales de la vie matérielle se touchent, se heurtent, se confondent horriblement. Une boutique de fripier est un chaos dans lequel tous les rangs sont confondus, comme les cadavres humains au cimetière. L’habit du marquis est étalé avec sa livrée; la robe de gaze de la duchesse au bal des Tuileries se balance avec la bure de la grisette: tous ces haillons entassés vous ont ce lamentable aspect de loques réunies par la misère, par la mort, par la honte, par le jeu, par tous les vices et tous les maux des grandes villes. Il est impossible de ne pas frémir quand on songe que, dans cet antre de la misère, la prostitution et le jeu viendront racheter leurs habits, au premier changement de fortune. Dans ce capharnaüm de la fange et du trou, un homme est heureux de se sentir un habit, fait pour lui, fût-ce le plus pauvre habit de manœuvre! Qu’il méprise, en même temps, ces dorures flétries, ces soieries fanées, ces livrées huileuses, et tous ceux qui viennent se dépouiller là, et tous ceux qui viennent s’habiller là! Ajoutez qu’au milieu de ces lambeaux impurs, et si vous regardez tout au fond de la boutique, vous découvrez d’ordinaire une vieille femme, hideuse comme sa marchandise, accroupie sur son pot de terre plein de cendres, qui attend dans la plus parfaite immobilité une victime ou une dupe, horrible commerçante sur le front de laquelle on lit en caractères de fer, ce mot funeste: usure!

Eh bien, la maison du roi Charles X a passé par cette épreuve; elle a traité d’égale à égale avec la revendeuse, elle est revenue, en souliers éculés, de la frontière, pour traverser la boutique du fripier. Le Roi parti (c’était là une suite de cette fatalité qui fait un malheur de tout, pour les rois qu’elle veut perdre), on a trouvé chez lui… un roi de France! non pas des armures de fer, non pas des casques ou des épées de chevalier, non pas des chevaux de guerre ou autres meubles royaux qui font reconnaître un roi, même dans l’exil; mais des fusils pour la chasse aux perdreaux, des chiens courants, des chevaux pour le sanglier, des œufs de perdrix, des faisans, de jeunes chevreuils, des lapins à foison, et, dans l’intérieur du palais… seize cents pots de confitures, et des pralines par boisseaux!

Quel qu’il soit, riche ou pauvre, entouré de chefs-d’œuvre… ou de haillons, Ulysse ou le pauvre Irus, ne me parlez pas, pour l’absent, des ventes faites hors de son domicile; ce sont des ventes mensongères, sans aucun sens; elles dénaturent l’exil ou le malheur dont les dépouilles sont tristement dispersées. Chaque meuble, pris à sa place, a sa grâce et sa valeur, son charme. Mais si vous déplacez les meubles de ma chambre à coucher, si vous brisez l’aimable ensemble qui les parait, si vous les montrez sur une scène inaccoutumée, alors, adieu la bonne opinion que mes voisins avaient de mon bien-être, adieu la valeur du pauvre rien, qui faisait tout le bien de Codrus! Princes et bourgeois, nous sommes soumis les uns et les autres à cette loi de la symétrie qui fait le respect de notre intérieur; nous l’avons bien vu dans la vaste salle de la rue de Cléry.

On exposait le mobilier d’une princesse, ornement d’un trône à peine écroulé, et pourtant, qui n’eût pas été prévenu que cette princesse exécutée… par le commissaire-priseur, était encore, dieu merci! du monde des vivants, eût juré que cette vente était une vente après décès et que la morte avait été, de son vivant, une comédienne! Voilà ce que j’appelle presser à fond le décès d’une monarchie; ceci n’est pas une fiction, allez rue de Cléry, je vous le répète, vous verrez la vente.

En entrant dans la salle obscure, où suinte une odeur de moisi, les regards sont d’abord frappés d’un grand nombre de vieux manteaux attachés contre la muraille. Manteaux fanés, perdus, décousus; à celui-ci manque une partie de broderie; à celui-là le galon d’or a été enlevé; à d’autres, la broderie regarde la queue traînante, et, la voyant couverte de boue: Ah! (se dit-on) cette femme allait donc à pied dans la boue?

Voici des manteaux de cour! Voici de belles robes d’or et de brocard; les unes en velours à fleurs, les autres en dentelles; mais dans quel état! une comédienne en aurait honte! quel effort il a fallu pour se décider à cet étalage! Malheureuse princesse! élégante autrefois, entourée, au degré suprême, de grâce et de fraîcheur! Avancez! et choisissez parmi les costumes de divers pays, un persan, par exemple, robe à fleurs de satin blanc, caleçon brodé, tunique de velours nacarat, turban, ceinture et voile d’or… c’est un triste habit, dont la dernière femme du dey détrôné, ne voudrait pas. A côté de la sultane, arrive, en boitant, Marie-Stuart, Marie-Stuart en velours, en coiffe tombante, toute noire, comme une reine qui marche à la mort; bientôt, par un caprice de femme et de princesse, la robe de la reine a fait place au costume de la Cauchoise; id est: la robe courte, la boucle d’argent au soulier… tout à coup, voilà une Cauchoise qui s’enfuit à l’aspect de la vive Italienne, au costume brodé de soie. O changement! déguisements! masque infini de la fin d’une monarchie!

Holà! Je me fatigue à tout dire: à côté de ces manteaux, ces robes, ces chaussures de la vie réelle, vous trouverez un vrai carnaval de Venise: un jupon d’Auvergnate qui sent son patois et la porteuse d’eau, deux costumes bretons, l’un bleu, l’autre rouge et complets tous les deux, la coiffe de drap en écarlate, le manteau en bure noire, doublé en rouge, jusqu’à ce que tous ces costumes divers fassent place au costume national. Alors la Française, l’Auvergnate, l’Écossaise, la Cauchoise, s’évanouissent devant la fille de Naples; ceinture, rubans, tablier, voile…

Au large! Zulietta! Parcours le golfe au bruit des mélodies nationales, monte en gondole, et que l’onde amoureuse te balance au chant des gondoliers, qui répètent en chœur les stances de la Jérusalem.

Ajoutez à ces toilettes bizarres, faites pour des jours de folie, de fausses parures, des bijoux en cuivre doré, des pierres factices, des diamants faux, tout le luxe honteux qu’une grande comédienne ne se permet pas de porter sur son théâtre, et vous comprendrez quelle est cette élégie, à rencontrer ce faux luxe, ces parures viles, ces déguisements déformés; toutes choses auxquelles l’aimable princesse, absente à jamais, donnait tant de prix, bonnes désormais, à parer les dames de la halle au prochain mardi gras.

Pourtant, tout ceci fut parures de princesse, tout ceci fut enchantement de cour. Il n’y a pas un an que tout Paris célébrait ces merveilles, ces bals héroïques. On voyait la vieille France se trémousser à ces bals! Rappelez-vous ces quadrilles du temps de François II, dans lesquels le jeune duc de Chartres portait l’habit d’un roi, et le duc de Bordeaux la livrée d’un page (le présage s’est accompli; hélas! vous savez avec quelle rapidité!), et de tout cela restent des masques, des mensonges, lambeaux de toutes couleurs, robes fanées; ruines, débris, néant, poussière, vanités des vanités!

On voit aussi dans cette ruine une suite de tableaux, la plupart fort médiocres. A coup sûr la propriétaire de ces toiles protégeait, aimait les beaux-arts; on comprend quelle noble pitié elle portait à cette misère de l’artiste, et que les beaux-arts en abusaient  cruellement, comme ils font d’ordinaire, avec leurs protecteurs.

Ceci est une manière de comprendre et d’expliquer une révolution. La révolution, c’est aussi bien le trône renversé que les hardes royales vendues à l’encan; la révolution a porté rue de Cléry ces cachemires numérotés, étendus sur des planches. La foule arrive: elle les touche, elle les flaire, elle en considère le tissu, elle dit: «Celui-ci est beau! celui-là est médiocre!» Elle les achète en marchandant, une fois payés, elle porte ces tissus précieux qui couvraient les épaules d’une princesse dans ses jardins royaux, au Louvre, aux Tuileries, au théâtre de Madame. Autrefois c’eût été un insigne honneur de toucher seulement ces manteaux en dentelle, ces taies d’oreiller si artistement brodées, ces barbes dentelées, ces petites dentelles aux bonnets du soir. Aujourd’hui, pour fort peu d’argent, la dernière bourgeoise est appelée à passer ses gros bras rouges dans ce manchon de zibeline; sa fille aînée peut mettre sous son épais menton ce point d’Alençon, le lendemain de ses couches… son mari va dormir ce soir, en bonnet de coton, sur cet oreiller d’Angleterre. Avez-vous jamais vu une révolution plus complète, une profanation moins équivoque?

Ainsi, dans ce malheureux étalage de madame la duchesse de Berry, on retrouve, comme en tous les étalages de ce genre, un peu de la femme, un peu de la comédienne, un peu de la princesse. En cette vente, il y a luxe, indigence, éclat, misère; comme dans toutes les ventes, il y a le spéculateur avide, le marchand par métier, la femme pauvre et coquette à bon marché; il y a aussi l’homme oisif qui court après une émotion comme on court après la fortune; le vindicatif qui se venge des grandeurs de la terre en contemplant toutes ces misères. Arrive enfin, grâce au ciel! l’homme sentimental, tourné du beau côté des choses humaines, qui respecte le malheur, chose sacrée, aimant mieux s’attrister que se mettre en colère!—Surtout, il a pitié des femmes que les révolutions renversent, comme il a pitié des fleurs que l’ouragan détruit.

Un pareil homme, inspiré d’en haut, cherchera de préférence les spectacles tristes mais corrects; il a horreur de toutes les profanations de la rue de Cléry. Par exemple, il ne comprendra pas que l’on ait exposé aux injures d’un encan, la garde-robe de l’exilée; il maudira l’avarice des femmes de chambre qui ont exhumé ces tristes dépouilles; il voudrait couvrir de son manteau ces voiles troués, ces robes tachées, ces souliers déformés, ces bijoux faux, ces travestissements de folie et tous ces mystères d’intérieur; il a horreur de ces pauvres restes. Cet homme intelligent ne comprendrait même pas la vente des riches habits du dernier roi d’Angleterre! A plus forte raison s’il s’indigne que l’on ait mis à l’encan les pauvres guenilles de madame la duchesse de Berry!

Mon homme, à moi, est fait de telle sorte que, dans cet amas, digne au plus d’un garde-meuble, il se livre à mille recherches pour découvrir un honnête souvenir… Le voilà donc en quête au milieu de ces meubles épars; voici de vieilles chaises, de vieux fauteuils, un tabouret; voici je ne sais combien de meubles divers, mais aucun de ces meubles n’est assorti avec son voisin, tout se confond dans cet abîme: un chevalet d’artiste est à côté d’un instrument de cuisine; un flacon de toilette sous un soufflet en bois d’acajou; un jeu d’échecs est placé sur la jardinière; il y a des bibliothèques dont les vitres sont cassées; un métier à broder au pied d’un secrétaire. Désordre et confusion! Tous ces meubles sont mal faits et endommagés! Que de petits riens inutiles! Que de luxe sans goût et sans grâces! Non! non! ce ne sont point là les meubles d’une jeune femme et d’une princesse!

Pour l’honnête homme, il est triste de ne pas rattacher une honnête idée, à un honnête achat. Quand il achète un meuble, ce n’est pas une valeur qu’il achète, c’est une idée triste ou gaie: il est mieux qu’un antiquaire; l’antiquaire n’a foi que dans le temps; le sentimental a foi au malheur: de grâce, ne l’abusez pas!

Ces meubles sont trop vieux, trop mal faits, trop grands, trop gros, trop lourds, trop mesquins, pour que j’y retrouve une infortune royale. Jusqu’à présent, il n’y a d’affaires en cette salle, que pour la marchande de chiffons, les marchands de galons et les revendeuses à la toilette. Passez votre chemin, digne Yorick, allez lire une oraison funèbre… et pleurez tout bas.

A moins, toutefois, que notre homme ne s’arrête, une larme à l’œil, devant un piano d’enfant, devant une petite selle avec sa housse d’argent, bonne tout au plus à être placée sur le dos d’un gros dogue; devant une harpe de petite fille; la harpe est de Nadermann; les cordes en sont détendues et brisées, comme celles des harpes suspendues aux saules de l’Euphrate: Illic flevimus….

Voilà tout ce qui frappe Yorick; peut-être il serait content des deux porte-lampes et d’un écran que madame la duchesse a brodés de sa main, nous dit le catalogue. Otez cette annonce… il n’y a plus rien qui te convienne, bon Yorick, plus rien qui te donne à penser!

J’ai oublié, dans ma nomenclature d’amateurs, de mentionner l’amateur caustique, l’homme au gros rire; il se moque de tout ce qu’il voit, il comprend très-bien qu’on vende tout ce qui peut se vendre, il se dit, avant d’entrer rue de Cléry: Tout cela se vendra cependant!

Pour ma part, je n’aime pas ces hommes de moquerie; je hais leur rire de parvenu et leur politique de portier. Je les vois d’ici ricanant devant le jeu de loto-dauphin, devant le confessionnal portatif, ou la lanterne magique représentant l’entrée de Charles X à Paris. Cette lanterne peut servir à faire l’histoire de la Restauration. Il fait nuit: Voyez, messieurs et mesdames, ce roi, ces chevaux, ces courtisans, ce drapeau blanc qui flotte… Un grand souffle éteint la lampe et tout s’évanouit!… Plus rien que le fantôme et la nuit! Cette lanterne… se vendra cher.

On fera bien de la vendre avec le confessionnal et le loto-dauphin; il n’y a que ces trois meubles qui aient un sens positif dans cette exposition.

J’oubliais un album d’Eugène Lamy. Cet album représente les travestissements de l’an passé; on y retrouve, en présence même des vêtements qui ont servi à la duchesse, à la reine de ces fêtes, tout ce que la cour d’alors avait de jeune et d’éclatant: messieurs de Juigné, de Nailly, d’Orglande, de Ménars,  de Charrette, de Pastoret, de Richelieu, mesdames de Podenas, de Larochejacquelin, de Béarn, de Caylus et miss Stuart. Vous voyez toute la fête dans cet album; elle vous paraît cent fois plus brillante qu’elle l’était, vue dans la rue de Cléry. A la fin, l’album échappe à vos mains.

Il retombe sur les mêmes tables où la folâtre jeunesse se rafraîchissait après le bal; ces tables sont encore couvertes de serviettes; elles sont tendues: on dirait que le souper sera servi, tout à l’heure. Hélas! l’intendant est absent, les pages sont dispersés, le maître d’hôtel est en retraite; toute la table est dans un désordre funeste, vous la prendriez pour la table des festins du sire de Ravenswood. Les verres sont confondus, les bouteilles en cristal n’ont pas de bouchons, les plateaux sont couverts de poussière, les surtouts sont revêtus de fleurs fanées. On voit encore les temples en carton, dépouillés de leurs sucreries, les formes des gâteaux veuves de leurs accessoires; il n’y a plus que deux fourchettes en argent et deux couteaux en os. Est-ce donc avec cela que Marie Stuart a donné à souper à son royal époux? Eloignez-vous, tristes vestiges de ces banquets!

A tout prendre, cette vente est un spectacle désolant; tout y est misère et mensonge, un luxe ahuri; vieux restes fanés, désordre étrange, pauvreté déguisée. Plus d’une mère de famille, l’honneur de son époux et de ses enfants, mourrait désespérée si elle avait, au lit de mort, la pensée que le public va la juger sur un mobilier pareil. Que voulez-vous? il fallait qu’il en fût ainsi, d’une révolution faite avec ordre. Le désordre révolutionnaire n’a troublé que la tête des rois; ici, l’ordre légal fait plus que les tuer. Elle montre à nu leur intérieur, et l’on rit de pitié… voilà donc ce que nous adorions?

Cette vente impitoyable a commencé un mardi; elle a duré plus de huit jours: on a vendu d’abord les vins, puis les meubles; on a terminé par les ustensiles de cuisine; ces ustensiles appartiennent tous à cette cuisine sucrée, que l’on appelle l’office, et qui n’est ici qu’un contre-sens de plus.

Dans tous ces petits faits de l’histoire contemporaine, qu’il ne faut pas négliger quand on ne peut atteindre à l’histoire générale, il est surtout un homme que je cherche et qui me manque. Cet homme, c’est Bossuet; Bossuet, à peine sorti de l’oraison funèbre de Henriette d’Angleterre. Que dirait ce grand pontife des grandeurs éteintes, s’il voyait comment, de nos jours, les monarchies finissent, comment nous avons parodié Cromwell, que la dérision a remplacé la hache, et par quelle indignité une revendeuse à la toilette fait l’office du bourreau! J’imagine que Bossuet en mourrait de peur, ou qu’il en deviendrait fou! Oui, grand homme, et voici les aventures de nos jours; le petit-fils de Condé disparaît de ses vastes jardins, et la race de votre Royal ami finit avec moins de bruit que les jets d’eau que vous aimiez, et qui se sont tus depuis longtemps.

En même temps le dernier fils de saint Louis est chassé hors du royaume, et ses confitures sont vendues dans ses cours, comme autrefois, dans la Bible, on vendait les femmes et les enfants des ennemis vaincus.

Des valets mettent en vente publique les oripeaux des princesses, et c’est à peine s’il se trouve des acheteurs.

Ajoutons que nous verrons bientôt sur la place publique, à l’encan, comme un omnibus de réforme, les dernières voitures faites pour le dernier sacre du dernier roi de France qui ait songé à aller à Reims, demander une inviolabilité qu’il n’a pu trouver dans les lois!

Écoutez! cette voiture dorée, parfumée, brodée, peinte, sculptée, couverte de fleurs, bénite, et dont chaque clou était un chef-d’œuvre; ce trône sur quatre roues… il sera vendu à la criée! un charlatan l’achètera pour y vendre, au milieu des places, ses élixirs et ses opiats.

Qu’on me pardonne ces idées mêlées, ces images vulgaires, ces rapprochements inattendus; je sais que la rhétorique en murmure, que la logique s’en inquiète, et que l’art est mécontent; mais les faits sont là expliquant, excusant toute chose en un sujet pareil, le sublime et l’absurde, la bouffonnerie et l’élégie, la justice et la colère, le discours de M. de Chateaubriand, et ce chapitre même. Hélas! Il n’a pas été fait sans pitié, sans respect et sans larmes, pour des malheurs si cruels et si complets!