TOUTOUTE

Conte

Alphonse Allais

Histoire triste pour la petite Marie-Anne Salis.

— Moi, dit Zette, c’est la toutoute que je veux. Toutoute, c’était tout simplement le féminin de toutou qui manquait à la langue française et que la petite Zette venait de créer sans coup férir.

Il s’agissait de deux petits chiens nouveau-nés, un toutou et une toutoute que l’on don-nait à choisir à Mlle Zette.

Le toutou échut au jeune fils du cordonnier d’en face. Il fut immédiatement baptisé Black, bien qu’il fût tout au plus gris fer.

Toutoute (le nom lui resta) s’installa dans une petite niche toute garnie de rubans roses et de grelots d’argent.

Zette en raffolait et rien n’était trop beau ou trop bon pour sa Toutoute.

Toutoute était donc la plus heureuse des jeunes chiennes. D’autant plus qu’elle jouissait en même temps des plaisirs de la famille.

Chaque matin, son petit frère Black arrivait en trottinant partager le bon lait sucré. Après avoir bien joué, bien cabriolé, Black qui était un toutou raisonnable, regagnait l’atelier de son jeune maître, et terminait sa journée en s’occupant avec des rognures de cuir.

Un dimanche matin qu’il faisait très froid, Zette en grande toilette, toute prête à aller déje-uner chez grand’mère, s’aperçut que Toutoute avait le poil tout mouillé et grelottait misérable-ment.

Zette prit Toutoute et l’enferma dans la petite armoire du poêle de la salle à manger, une armoire qui sert à faire chauffer les assiettes.

Et puis, on s’en alla chez grand’mère.

Quand on rentra le soir, la maman de Zette chercha Toutoute.

On appelait : Toutoute ! Toutoute !

Mais Toutoute ne répondait pas. Alors Zette se rappela :

— Elle était mouillée, je l’ai mise sécher dans l’armoire aux assiettes.

La pauvre Toutoute était là, raidie par la mort, asphyxiée.

La petite Zette regarda avec un peu de dégoût ce cadavre, mais elle ne pleura pas, malgré les paroles sévères de son papa, et elle alla se coucher.

Mais, le lendemain, quand elle vit arriver Black cherchant sa sœur avec des petits jappements douloureux, Zette comprit toute l’horreur de ce qu’elle avait fait.

Son petit cœur creva et, prenant dans ses bras le pauvre Black désolé, elle éclata en gros, gros sanglots.