Casse-Noisette et le roi des souris – II

– Conte de Ernst T. Amadeus Hoffmann

LES DONS.

Je m’adresse à toi, bon lecteur, pour te prier de te remettre en mémoire les derniers beaux cadeaux qui resplendissaient pour toi sur la table de Noël, et alors tu comprendras comment les enfants restèrent muets et immobiles, la joie dans les yeux, et comment après une petite pause Marie s’écria :

— Ah ! que c’est beau ! que c’est beau !

Et comment Fritz essaya quelques cabrioles, qu’il réussit à merveille.

Mais les enfants devaient avoir été bien gentils et bien sages pendant l’année entière, car jamais leurs cadeaux n’avaient été aussi magnifiques que cette fois. Le grand pin au milieu de la table portait une foule de pommes d’or et d’argent; des pralines et des bonbons de toute sorte en représentaient les boutons et les fleurs, et de beaux et nombreux jouets étaient suspendus à toutes les branches. Mais ce qu’il y avait de plus beau dans l’arbre merveilleux, c’était une centaine de petites bougies, qui brillaient comme des étoiles dans son sombre feuillage, et tandis qu’il semblait avec ses lumières, au dedans et au dehors, inviter les enfants à cueillir ses fleurs et ses fruits. Tout resplendissait riche et varié. Que de belles choses se trouvaient là, et qui pourrait essayer de les décrire ? Marie regardait les plus belles poupées, toutes sortes de charmants petits ustensiles de ménage; et ce qui attirait le plus les yeux de la petite Marie, c’étaitune petite robe de soie qui pendait sur un petit piédestal élégamment ornée de délicieux rubans. Elle la regardait de tous côtés, et s’écriait à chaque instant :

— Ah ! que c’est beau ! ah ! la jolie, la jolie robe ! Et je pourrais la mettre ! bien vrai ! bien vrai !

Fritz, pendant ce temps, avait déjà fait trois ou quatre fois le tour de la table au galop sur le nouveau cheval, qu’il avait trouvé tout bridé.

En mettant pied à terre il dit :

— C’est une bête fougueuse, mais peu importe; je la dompterai.

Et il mit en rang les nouveaux escadrons de hussards, magnifiquement habillés de rouge galonné d’or. Ils avaient en main des sabres d’argent, et leurs chevaux blancs avaient un tel éclat, que l’on aurait pu croire qu’ils étaient d’argent aussi.

Les enfants voulaient, devenus déjà plus tranquilles, feuilleter les merveilleux livres d’images qui étaient ouverts, et où se trouvaient peints toutes sortes d’hommes, toutes sortes de fleurs, et aussi de charmants enfants qui jouaient ensemble, et qui étaient si bien faits, qu’on aurait pu croire qu’ils vivaient réellement et se parlaient entre eux.

Ils voulaient de nouveau regarder ces livres, lorsqu’on sonna encore une fois.

Ils savaient que le parrain Drosselmeier devait faire aussi ses cadeaux, et ils coururent vers la table placée contre le mur.

Le paravent qui l’avait si longtemps cachée se replia tout à coup.

Sur une prairie émaillée de fleurs de toute façon s’élevait un château magnifique avec de nombreuses fenêtres à vitres et des tours d’or. Un concert de cloches se fit entendre; les portes et les fenêtres s’ouvrirent, et l’on vit des messieurs de très-petite taille se promener dans les salles, avec de petites dames aux longues robes traînantes et aux chapeaux chargés de fleurs. Dans la salle du milieu, si bien éclairée, qu’elle paraissait en feu tant il s’y trouvait de bougies, dansaient des enfants en pourpoint court et en petite veste, au son des cloches. Un monsieur, couvert d’un manteau d’un vert d’émeraude, regardait souvent par la fenêtre, faisait des signes et s’éloignait, et aussi le parrain Drosselmeier, grand comme le pouce du papa, se montrait de temps en temps sur le seuil de la porte du château et rentrait en dedans.

Fritz, les bras accoudés sur la table, regardait le beau château et les promeneurs, et il dit :

— Parrain Drosselmeier, laisse-moi entrer dans ton château.

Le conseiller de la cour de justice lui répondit que cela n’était pas possible.

Et il avait raison, car il était déraisonnable à Fritz de vouloir entrer dans un château qui, même avec ses tours d’or, n’était pas si haut que lui-même.

Fritz comprit cela. Au bout d’un instant, comme les messieurs et les dames se promenaient sans cesse de la même façon, que les enfants dansaient, que l’homme émeraude regardait par la fenêtre, et que le parrain Drosselmeier se montrait sous la porte, Fritz impatienté dit :

— Parrain Drosselmeier, sors donc par la porte d’en haut.
— Cela ne se peut, mon cher petit Fritz, répondit le parrain.
— Eh bien, fais promener avec les autres le petit homme émeraude qui regarde si souvent par la fenêtre.
— Cela ne se peut pas non plus, répondit encore le parrain.
— Alors, reprit Fritz, fais descendre les enfants, je veux les voir de plus près.
— Mais cela n’est pas possible, reprit le parrain contrarié. Une mécanique doit rester comme elle a été faite.
— Ah ! reprit Fritz en traînant le ton, rien de tout cela ne se peut. Écoute, parrain, si tes petits hommes bien habillés ne peuvent faire dans ce château que toujours une seule et même chose, alors ils ne valent pas grand’chose, et je ne les désire pas beaucoup. J’aime bien mieux mes hussards qui manœuvrent en avant, en arrière, à ma volonté, et ne sont pas enfermés dans une maison.

Et en disant cela il s’en alla en sautant vers la table de Noël, et fit trotter les escadrons sur leurs chevaux d’argent et les fit charger selon son bon plaisir avec force coups de sabres et coups de feu, d’après son caprice.

La petite Marie s’était aussi doucement éclipsée, car elle s’était bientôt aussi lassée des allées et venues et des danses des poupées; mais, comme elle était bonne et très-gentille, elle ne l’avait pas laissé voir comme son frère Fritz.

Le conseiller de la cour de justice dit, d’un ton désappointé :

— Ce travail artistique n’est pas fait pour des enfants, qui ne peuvent le comprendre; je vais serrer mon château.

Mais la mère s’avança, se fit montrer tout le mécanisme intérieur et les rouages ingénieux qui mettaient les poupées en mouvement. Le conseiller démonta tout et le remonta de nouveau. Cela lui rendit sa bonne humeur, et il donna encore aux enfants quelques petits hommes bruns et des femmes avec les visages, les mains et les jambes dorés. Ces figures étaient d’argile, et avaient l’odeur douce et agréable de pain d’épice, ce qui réjouit beaucoup Fritz et Marie. La sœur Louise, sur l’ordre de sa mère, avait mis la belle robe qu’on lui avaitdonnée, et elle était charmante avec. Mais Marie, avant de mettre la sienne, comme on le lui disait, demanda à la regarder encore un peu. Cela lui fut accordé très-volontiers.