Francis Jammes

Donc, me voici de retour en ce vieux salon où je considère avec attendrissement le moindre objet. Ce châle fut à ma grand’mère paternelle que je n’ai point connue et qui repose dans un humble cimetière des Antilles en fleurs. Puissent les colibris étinceler et crier sur sa tombe abandonnée, et les tabacs aux cloches roses plaire à sa mémoire… Je n’ai point vu de portrait qui la représente. Mais je sais qu’elle avait une réputation de bonté et de beauté. J’ai lu d’admirables lettres d’elle écrites de là-bas à mon père enfant que l’on avait amené en France pour s’y instruire et qui y est demeuré.

Combien j’ai rêvé parfois de ressusciter ce passé. Combien il serait beau que Dieu nous donnât, une fois par an, cette fête de voir revenir de chers disparus ! J’aime à me figurer que ce serait le jour des Rois, et par un temps de neige. La pauvre salle à manger s’ouvrirait aux coups de huit heures et je retrouverais là, assis à la table agrandie et ornée de roses de Noël, sous la claire gaîté de la lampe, tous ceux dont mon âme a le deuil.

Il me semble que ce revoir serait si naturel, si peu macabre, si peu conte de fée. Mon grand-père paternel, le docteur-médecin, mort à la Guadeloupe, serait à la place d’honneur, avec, sur ses épaules, un petit manteau de voyage où luiraient des grains de verglas. Son regard bleu d’acier, derrière les énormes lunettes d’or qu’il portait et dont se sert aujourd’hui ma mère, serait à la fois, comme il était, paraît-il, sévère et bon. D’une voix grave et chantante, il parlerait de la Grande Traversée, du vent de l’Océan Éternel, des tremblements de terres inexplorées, des naufragés sauvés par lui.

Et tous écouteraient ; et il serait beau, la mort étant éternelle, de revoir chacun à cet âge seulement que nous prêtons, avec une singulière obstination, aux chers disparus.

Les cousines de Saint-Pierre-de-la-Martinique, elles étaient quatre, je crois, ne dépasseraient point chacune dix-huit ans et, vêtues de robes de mousseline blanche, riraient de quelque gâteau mal réussi. Et mes grand’tantes huguenotes, rigides mais heureuses, de longues chaînes d’or au cou, s’expliqueraient l’une à l’autre, les révélations des Prophètes. Et soixante et quinze ans trembleraient pour chacune dans leurs voix cassées. Et mon aïeul maternel à dix-neuf ans, avec son carrik vert d’étudiant romantique, tous…

Mais le songe s’efface et le vent pleure.

Dans une mousse ensoleillée, et transparente comme une algue ou une émeraude, j’ai enveloppé les racines de ces premières pâquerettes de Janvier. Elles sont les seules fleurs de ces temps-ci, avec des rares pervenches et des ajoncs. Trop d’amour les gonflait sans doute. Il fallait qu’elles naquissent malgré la glace. Les lanières blanches des capitules sont violacées à l’extrémité, et entourent des fleurons qui sont d’un jaune verdâtre comme le dessous d’un vieux cèpe. Les racines boueuses sentent la campagne labourée. J’ai eu la cruauté de cueillir ces fleurs, et elles sont lamentables à présent, aussi blessées que des bêtes le pourraient être et voici que, lentement, et comme si elles étaient mues par une crainte terrible, les feuilles des capitules se recourbent au dedans pour recouvrir et protéger les robes des corolles minuscules que je ne puis plus voir. Délicatement, j’essaie de soulever ces feuilles, mais elles me résistent et je n’arrive qu’à meurtrir la plante. Imbécile ! Est-ce que je n’aurais pu laisser vivre ces fleurs au bord de leur fossé ? Là, elles eussent senti le grésillement frais du sol imbibé, un oiseau les aurait effleurées, la trompe des moustiques aurait pompé leur pollen, et elles seraient mortes doucement, à côté de leurs amies.

Les étoiles d’hiver sont belles lorsqu’elles poudroient dans le ciel couleur d’ardoise et que, dans la profondeur brumeuse et bleue, elles éclairent des lambeaux de nuages. J’ai traversé la petite ville, à six heures, lorsque les chandelles derrière les vitres font remuer les ombres carrées dans les boutiques et luire la boue rose sur les pavés. Un chien trotte en flairant sous les portails. Un char, dont les bœufs glissent, grince. Une lanterne vacille, une voix s’entend. Les angles des toits sont nets. Le reste est rongé par l’obscurité. Çà et là, encore, de loin en loin, une fenêtre d’un rose fumeux, et me voici au sommet de la côte.

À gauche, tremble une énorme étoile. Il semble qu’elle respire et que ses rayons tour à tour s’allongent et se rétractent. Son feu blanc a l’air de couler. Je regarde les constellations carrées, derrière lesquelles sont encore des carrés de constellations, lesquels recouvrent d’autres constellations carrées iusqu’à ce que le regard se perde en une cendre lumineuse pareille à celle d’un foyer.

Je ne suis nullement intrigué par ces astres. Je n’aperçois pas là des mondes infiniment grands ou petits, selon ce à quoi nous les comparons. Ils sont, dans ma pensée, tels que je les vois : les plus grands comme des colibris, les plus petits comme des guêpes, l’espace qui les sépare l’un de l’autre ne me semble point plus étendu que le pas dont j’arpente la route. Simplement, c’est un ciel de janvier sur une petite ville.

La vache de ma petite métairie est très âgée. Il va falloir la vendre. Pauvre bête, je l’ai caressée longuement. Où vont se traîner maintenant ses pauvres vieux genoux ? Oh ! souffrance terrible, rançon de l’homme quand donc m’étoufferas-tu tout à fait ?

Une paysanne m’a vendu des mousserons. Ils sont très rares maintenant. Leur odeur me saisit et je songe aux lisières des prairies, aux elfes qui, d’après Shakespeare, font croître ces mousserons sous le charme de la lune. Ils ont été mouillés par la gelée fondante, et de fines et longues herbes s’attachent à leur humidité. Ils portent en eux la tremblante buée des nuits. Les premiers, ils sont sortis de la terre, sous leurs ombelles d’ivoire, pour observer si les pieds de haie s’entouraient davantage de mousse. Ils auront été déçus. Ils n’auront point vu les pervenches, ni les violettes, mais l’agaçante et fine pluie grise dans le ciel gris.

Hier, je suis monté jusqu’au haut de la côte et suis revenu par le chemin de Clara d’Ellébeuse. Il y avait tant de brouillard que les arbres pleuvaient dru. Les pies faisaient des crochets brusques parce que, venant vers moi, elles ne m’apercevaient qu’à vingt pas dans cette opacité. Trois grives aux gris grinçants et furieux se battaient. Ici et là on coupait du bois. Le soleil sans rayons, d’un jaune argenté, semblait la lune. J’ai vu trois primevères, des ajoncs fleuris, des pâquerettes et, autre jour, des pervenches. C’est le printemps déjà, à travers Janvier. Depuis deux nuits, à mon réveil, j’entends le chant d’un merle. De quelle émotion m’emplit le premier souffle, à peine perceptible, du printemps ! Cependant, l’hiver régnera longtemps encore.

Le tic-tac usé de la pendule berça bien des soirées dont me charma la tristesse. Les chats s’introduisaient dans le salon où il y avait des invités. On était autour du feu. On se racontait des frayeurs, des pressentiments que l’on avait eus, les manies de personnes mortes. Les carrés d’ombre projetés par la lampe tremblaient. Le foyer éclairait par-dessous des profils accentués de vieilles dames, des mains aux veines saillantes, des gestes d’adolescente se montrant des broderies commencées.

— Oh ! comme c’est joli !

— Oui, mais c’est long comme tout.

— Quelle patience vous avez !

— C’est Claire qui a commencé celle-ci.

Je me souviens de l’une de ces soirées où étaient beaucoup de jeunes filles. Petites fleurs de province, elles s’épanouissaient dans la lueur grise et rose du salon…

Une de ces enfants se mit au piano, une autre chanta. Les notes usées semblaient s’égayer, trémolantes comme des voix de grand’mères fleuries qui eussent chuchoté sous la porte. La jeune fille qui chantait et qui est morte en religion avait l’air d’une sombre petite rose. Elle était pieuse et s’égayait doucement.

…On servait du thé trop fort, ou pas assez, dans ces soirées, des biscuits un peu humides, du lait, de l’eau de noix. La rue était silencieuse. Onze heures sonnaient. Une vieille dame se levait et disait :

— Onze heures déjà… Est-il possible… Onze heures.

Et quelqu’un lui répondait :

— La pendule avance beaucoup.

La nuit dernière, j’ai rêvé que j’étais mort et que je retrouvais Jean de Tinan, que j’ai vu une seule fois dans ce salon, à même époque, peut-être à même date. Il m’est donc apparu en songe et m’a invité à déjeuner en une maison de campagne située dans un petit village protestant : Bellocq. Je doute qu’il ait jamais été là durant sa vie. Mon rêve indiquait dix heures du matin. Tinan était, comme je le vis en réalité : charmant et ironique. Il m’offrit des gâteaux singuliers et me raconta qu’il avait, pour s’amuser, fait boire des boissons anglaises à des soldats qui faisaient les grandes manœuvres. Et qu’il était arrivé à ce résultat que chefs et soldats pris de gaîté ne savaient plus, les uns commander, les autres obéir.

Tout à coup une angoisse terrible m’a saisi, une sympathie douloureuse, un regret de n’avoir pas assez connu durant sa vie le poète d’Aimienne. Je lui ai tendu la main en pleurant et me suis éveillé.

Qui sait ? En quels mystérieux pays allons-nous aborder, en quelles îles de l’Océan du sommeil ? Quels pavots blancs nous enchantent ? Pourquoi invoquer le hasard et non l’ignorance ? S’il est vrai que la vie ne tienne qu’à nos sens et que nos royaumes soient en nous — pourquoi les poètes qui sont, comme on l’a écrit, les explorateurs de leur âme, n’apercevraient-ils pas dans la nuit et la brume de leurs rêves, parfois, un promontoire de la mort ?

Souvent je me suis figuré le Ciel. Celui de mon enfance était la cabane que s’était fait construire, en haut d’un chemin grimpant, un vieil homme. Cette cabane, on la nommait le Paradis. Mon père m’y conduisait à l’heure où la noire bruyère des coteaux se dore comme une église. Je m’attendais, au bout de chaque promenade, à trouver Dieu assis dans le soleil qui semblait s’endormir à la cime du sentier caillouteux. Me trompé-je ?

Moins facilement j’évoque le Paradis catholique : les harpes d’azur, la neige rose des légions dans les purs arcs-en-ciel. Je m’en tiens encore à ma première vision, mais depuis que j’ai connu l’amour, j’ai ajouté è ce divin domaine, devant la hutte du vieil homme, une tiède pelouse en pente où herborise une jeune fille.

J’ai tout à la fois l’âme d’un faune et l’âme d’une adolescente. Et l’émotion que j’éprouve à considérer une femme, est le contraire de celle que j’ai à regarder une jeune fille. Si l’on pouvait se faire comprendre à l’aide de fruits et de fleurs, j’offrirais à la première des pêches brûlantes, des cloches roses de belladone, des roses lourdes ; à la deuxième, des cerises, des framboises, des corolles de cognassier, des églantines et du chèvrefeuille. Je ne puis guère éprouver de sentiment qui ne s’accompagne de l’image d’une fleur ou d’un fruit. Si je pense à Marthe, je songe à des gentianes. À Lucie, je prête des anémones blanches du Japon, et à Marie des muguets-de-Salomon. À une autre un cédrat qui serait transparent.

Au premier rendez-vous que me donna une amie, j’avais emporté un rameau de glaïeul dont les gorges étaient d’un rose d’abricot. Nous les mîmes sur la fenêtre durant la nuit où je l’oubliai pour ne me souvenir que de l’amie. Aujourd’hui je voudrais oublier l’amie pour ne me rappeler que le glaïeul.

Mon souvenir est donc, si je puis dire, végétal, et les arbres, aussi bien que fleurs et fruits, symbolisent pour moi des êtres et des sentiments. Les plantes, autant que les animaux et les pierres, emplirent mon enfance d’un mystérieux charme. À quatre ans je demeurais en contemplation des cailloux de montagne cassés, en tas au bord des routes. Choqués ils faisaient feu au crépuscule, Frottés les uns contre les autres, ils sentaient le brûlé ; j’en ramassais de marbrés qui semblaient lourds d’une eau qu’ils eussent recélée. Le mica des granits fascinait ma curiosité que nul ne pouvait satisfaire. Je sentais qu’il y avait une chose que l’on ne savait pas me raconter : la vie des pierres.

Au même âge, on me gronda parce que j’avais enlevé d’un chapeau de ma mère des coléoptères naturalisés. J’avais la passion de ramasser des bêtes, pour lesquelles j’éprouvais tant d’amitié que je pleurais si je les pensais malheureuses. Et j’endure encore une angoisse abominable en me souvenant de petits rossignols que l’on m’avait donnés et qui dépérissaient dans la salle à manger. Toujours au même âge, il fallait, pour que je m’endormisse, que l’on plaçât non loin de moi un bocal où était une rainette. Je sentais que c’était une amie fidèle, et qui m’eût défendu contre les voleurs. La première fois que je vis un cerf-volant, je fus si frappé de la beauté de ses cornes que l’envie d’en posséder un me devint une souffrance.

La passion pour les plantes ne se développa que plus tard, vers l’âge de neuf ans, et encore n’ai-je bien eu l’intelligence de leur vie que vers l’âge de quinze ans. Je me souviens dans quelle circonstance. Ce fut en été, un jeudi, par un après-midi torride. Je traversais avec ma mère le jardin botanique d’une grande ville. Un soleil blanc, d’épaisses ombres bleues, des parfums d’une lourdeur presque visqueuse faisaient de ce lieu à demi désert un royaume dont je franchissais enfin la porte.

Dans l’eau tiède et mordorée de bassins, des plantes coriaces et grises, ou longues, molles et transparentes, végétaient. Mais du sein même de ces pauvres et tristes algues s’élevaient, jusqu’au plein azur, de vertes lances, des hampes dont les ombelles roses et blanches opposaient leur grâce au jour ardent, des lys d’eau endormis sur leurs feuilles comme en une sieste confiante.

Aux plantes fluviales les plantes terrestres répondaient. Je me souviens d’une allée où des étudiants, un mouchoir sur la nuque, étaient ensevelis sous la beauté des feuilles. C’était l’allée des Ombellifères. Les fenouils et les férules dressaient leurs couronnes sur leurs tiges dont les gaînes éclataient. Les parfums se parlaient dans le silence. Et l’on sentait, de plante à plante, un muet épanchement, et une résignation planait sur ce royaume isolé.

Dès lors, je compris les fleurs, et que leurs familles s’apparentent et s’aiment naturellement, et non seulement pour servir aux classifications qui aident à nos lentes mémoires. Ces géométries en action que sont les végétaux marchent vers quelle solution ? Je ne sais. Mais il y a un mystère charmant à considérer que de même que les espèces correspondent avec telles périodes géologiques, et groupèrent ainsi leurs sympathies, de même, aujourd’hui, elles se groupent suivant les saisons. Comment le caractère des grelottantes et neigeuses liliacées d’hiver s’accorderait-il à celui des pourpres solanées d’automne ? Et puis il y a encore des arrangements délicieux qui sont dus bien moins à l’artifice des hommes qu’au consentement par certaines espèces d’en tenir d’autres pour amies, et de ne point languir auprès d’elles. Qu’il est doux le jardin villageois où le lys luisant, pareil à ces dieux qui fréquentaient les humbles, vit parmi les choux, l’ail bleu et les ciboules qui cuiront dans le pot noir des pauvres ! Que j’aime les potagers paysans, à midi, quand la triste ombre bleue des légumes s’endort sur les carreaux de terre granuleuse et blanche, lorsque le coq appelle le silence, et que la buse oblique et tournoyante fait glousser la poule onduleuse ! Là est la flore des simples amours, la flore de la jeune femme qui séchera la lavande bleue pour parfumer les draps rudes. Et il y a aussi, dans ce jardin, la fleur des rondeaux, la pauvre giroflée au parfum simple. Il y a aussi le buis fidèle dont chaque feuille est un petit miroir d’azur, les roses-trémières où se consume la flamme douce et pure de corolles de mélancolie : fleurs religieuses vouées au silence et à la rigidité.

Et j’aime aussi la flore des prairies : la reine des prés balancée par les brises, bercée par le roucoulement du ruisseau. Sa couronne parfumée se pare de coléoptères des eaux plus nacrés que les gorges des colibris. Elle est l’amour de la pelouse, la fiancée des lisières herbeuses.

Mais il est, au fond des vieux parcs désolés, des botaniques plus mystérieuses. Là, demeure ce que l’on nomme les vieilles fleurs comme le lilas terrestre, la belladone-amaryllis, la couronne impériale. Ailleurs, elles mourraient. Là elles résistent, gardées par les préjugés des arbres séculaires, arbres singuliers aux noms disparus. Et ces corolles maniérées, distinguées, ne relèvent leur tête branlante que lorsque, soufflant à travers les liquidambars et les érables, le vent gémit comme Chateaubriand.

Ce soir, je prendrai mon sac, mon bâton, et j’irai dans la montagne.

… Il m’a été impossible de monter au Jaïzquibel, même d’aller à Notre-Dame-de-Guadaloupe. Une tempête m’a bloqué à Fontarabie. J’étais si trempé que je ne pouvais plus avancer, et le vent me secouait dans les venelles aux maisons blasonnées. J’ai songé aux torrents d’azur de l’été, au golfe qui chante et luit au haut du ciel, à la nacre de la Bidassoa, à tous mes rêves ardents, à l’odeur fauve de Mamore. Je suis entré dans une auberge pour qu’on y fît sécher mes vêtements. Durant trois heures, couché dans un lit froid, j’ai écouté la pluie drue. Je me suis levé à l’heure de la sortie de la grand-messe. J’ai vu défiler, sur les pavés luisants d’averse, les filles en mantilles, aux cheveux en cédilles, huilés, bleus et plaqués sur le front. Elles étaient robustes, gracieuses, rondes et comme tournant sur elles-mêmes. Elles marchaient les jambes écartées. Un prêtre, le long du mur, glissait… Ensuite, je me suis fait conduire à Irun, dans une barque, par un pauvre enfant qui s’escrimait à ramer, les pieds nus en de lamentables bottines à élastiques. Mon cœur s’est serré devant la misère de l’eau, du ciel et de cet enfant. L’eau était méchante et jaune, le ciel avait la teinte d’un Vendredi-saint, et l’enfant était décharné.

Je songe à ce que, pour cette promenade que je veux faire dans la vallée d’I*****, il me faudra m’arrêter dans l’auberge où, il y a deux ans, nous nous cachions, elle et moi. Ce sera dur, mais je ne veux pas être à tel point l’esclave de ma douleur que je la fuie. Je sais bien qu’il y a par là une source d’azur dont l’eau glissa de mes lèvres aux siennes, une chaise où je la tenais embrassée, tandis qu’en une lisse caresse parfumée sa joue sur ma joue lentement allait et venait.

Mais il faut réagir, et ce souvenir ne me sera pas plus cruel que ne le fut, une nuit, le rappel de cette amie, dans un bouge où m’avaient attiré des guitares dont jouaient des ouvriers espagnols. Ils chantaient en s’accompagnant. Ils chantaient pour eux seuls, tristement, et buvaient du vin rouge. Leurs chants m’oppressaient parce que je sentais en eux un peu de l’âme inquiétante de la disparue, et qu’un douloureux hasard faisait que la servante d’auberge qui était là lui ressemblait tout à fait. Dans ces chants, il y avait la nostalgie d’une ardente contrée, des évocations de garces huilées et balafrées. Et mon cœur se serrait en s’avouant que celle que j’ai le plus aimée conservait, sous son éducation parfaite, un relent de fille tragique, de celles dont le front ou le cou porte une cicatrice.

« Le vent souffle où il veut et d’où il veut, » comme l’Esprit. Et il souffle encore aujourd’hui, m’emplit d’une âcre tristesse. Du moins, suis-je seul encore, dans cette mansarde d’où, à travers de petits rideaux de tulle, je vois la route, les arbres nus, la pluie. Où va-t-elle la route ? Ici, ma vie s’isole et, au-dedans de moi, je sens davantage l’amertume du passé. Qui saura, lorsque je serai mort, que j’ai lutté si terriblement ?

L’obsédant souvenir de cette bohémienne me fait sentir les vers de Baudelaire :

Toi qui, comme un coup de couteau,
Dans mon cœur plaintif es entrée.

… Et je me demande si elle ne m’a pas jeté un de ces charmes auxquels ajoute foi le peuple, si le jour que j’ai bu une goutte de son sang en lui rappelant une superstition italienne, je n’ai pas à jamais rivé mon âme à la sienne. Cette goutte, je l’ai bue par un jour pareil à celui-ci, âcre et pluvieux, dans un bouge où nous commencions de nous disputer, de nous séparer. Elle tendit à ma lèvre son épaule dont se cordaient les muscles sous un amour irrité. Nous sentions le froid du lâchage tomber sur nos cœurs, dru et goutte à goutte, comme d’une lame de glace. Elle ne versait pas une larme, les yeux follement agrandis, le nez froncé. Il y avait en nous de sourdes choses. Ensuite nous nous promenâmes. Elle ne dit une parole terrible pour essayer la trempe de mon amour. Je restai calme. Alors, elle se mit à paraître distraite, ayant l’air de craindre que l’on ne l’aperçût avec moi.

Voici que je pleure à grosses larmes, des larmes chaudes qui coulent au long de la joue. Que je souffre ! À quoi m’ont servi tous ces sacrifices ? Je suis fort, mais je n’en peux plus. Il me semble que je porte en moi un créancier et un débiteur. Je crois que c’est là un principe d’économie politique appelé : loi d’airain, offre et demande.⁂

J’ai gravi le petit pic du***. Les premiers daphnés fleurissent, les premières gentianes, les premières hépatiques. Sur les hauteurs et dans cette mansarde où j’écris, là seulement je trouve la paix. Au sommet du*** le vent m’a fait chercher un abri. J’ai déjeuné sur un roc où des bêtes-à-Bon-Dieu, rondes comme des tortues, luisantes, rouges et noires, couraient. Qui donc, aussi triste que moi, eût pu manger ? Me sentant délaissé par le bonheur, j’ai pris un parti. J’accepte, comme une volupté, le goût amer que ma bouche donne à mon pain. Je l’accepte sans faiblesse, et gardant un peu de mépris à ceux qui n’apercevraient point la force de ma résignation.

Au-delà des prairies crevées par les sources, dans un village que l’on nomme Les Angles, au pied d’un clocher poétique, j’ai vu une maison heureuse. Un jardin mélancolique l’entoure, une tristesse dominicale y sommeille. Qui donc est là ? On m’a répondu : « une famille parisienne, durant les vacances. » J’ai passé devant la grille et me suis senti désolé. Mon bâton de montagne a brûlé mes doigts tout à coup.

Oh ! Aller, dans la vallée d’Ossau où se dansent les rondes monotones, choisir la fille la plus calme, celle dont le visage ni le corps n’ont un frémissement, l’amener par la main sur ces herbages placides, la posséder sans un mot, puis laisser tomber ma douleur, couché en travers de ses jambes ? robustes, les bras en arrière, les poings sur la prairie.

Une vieille parente de ma mère, Mme d’A… d’E…, m’a écrit au sujet de ma Clara d’Ellébeuse qu’elle a lue. Je n’ai jamais vu cette parente. Ses lignes m’ont touché. Je suis allé la voir sur son invitation. « Peut-être, me mandait-elle, aurez-vous, dans ma demeure ancienne, de belles inspirations et le rappel du temps de Clara d’Ellébeuse. »

Et, en effet, la grille franchie, j’ai trouvé dans le salon solennel, appuyée sur sa canne, cette antique parente infirme. Une bonté éclairait son visage, un sourire pareil aux teintes délicates d’un herbier ancien. La rafale que j’entendais du coin du feu berçait l’ombre des meubles.

— « Voyez-vous ce tableau ? Ce sont de vos parents du côté maternel… Les dames étaient Martiniquaises… »

J’ai regardé avec émotion cette toile datée de 1833, dont un arbre luisant, d’un vert aquatique, l’arbre d’un parc de rêve, forme le fond.

Au premier plan, assise sur un banc de pierre, une jeune dame en robe de mousseline ; debout, auprès d’elle, une adolescente aux cheveux bouclés…

Maintenant où reposent-elles ? Et qu’est devenu le parc de ce tableau où l’on sent peser la torpeur dorée de la mort ?

J’ai vu, le long d’un chêne, deux glissements roux, de haut en bas, de bas en haut : deux écureuils. Il y a des années, j’en tuai un. Mon cœur en fut horriblement triste. Vivantes, ces bêtes sont ébouriffées et légères ; mortes, ce sont de petites loques. Elles ne sont que de la vie, de la jolie vie soyeuse. C’était dimanche matin que je les vis dans un bois de Noarrieu où se promena jadis, sur son petit âne, ma Clara d’Ellébeuse. Le mâle suivait la femelle. Ma vieille chienne et moi les avons regardés aussi longtemps que l’on peut regarder les écureuils. Savaient-ils que c’était Dimanche ? Les bêtes des forêts sont-elles sensibles à la triste paix du jour dominical ? Pourquoi ne percevraient-elles pas le silence qui naît du pieux repos des êtres et des choses ? Ne connaissent-elles pas mieux que nous le cri du joug dans la plaine, l’exclamation de la hache, les sanglots des sonnailles, le choc des battoirs, l’appel des sabots — tous bruits qu’elles fuient par crainte de l’homme ? Ce sentiment d’un calme périodique n’aurait-il pas été transmis aussi bien que la peur, d’écureuil à écureuil, de mésange à mésange ? C’est probable.

La tristesse même de la petite ville me plaît, les rues aux boutiques obscures, l’usure des seuils, les jardins nageants, à la belle saison, dans un enfoncement de buée bleue qui est un fouillis de roses trémières, de glycines, de treilles, ou pelés comme des ânes, avec des haillons qui sèchent au-dessus des bordures de buis teigneuses, le ruisseau des tanneurs qui charrie la nacre mince du ciel et reflète durement les toits parmi les plantes vaseuses, le gave qui creuse les rocs, luit, tourne et file.

La petite place est jolie, que la cigale y crie dans les ormeaux d’Été, que le vent d’Automne la râcle, ou que les pluies la rayent. Il y a un petit jardin public qu’eût aimé Bernardin de Saint Pierre où, en Mai, la nuit est épaisse, bleue et douce dans les marronniers.

Depuis des années je vis là, d’où s’en allèrent vers les Antilles en fleurs, mon grand-père et un grand-oncle. Ils écoutèrent la mer bruire ; des robes de mousseline glissèrent sous les vérandas, et ils moururent en regrettant peut-être ces rues, ces boutiques, ces seuils, ces jardins, ce ruisseau, ce gave.

Lorsque je me rends à ma petite métairie, je me dis qu’ils y furent. Ils devaient emporter leur déjeuner en un petit panier, et l’un d’eux s’être chargé d’une guitare. Des jeunes filles ne suivaient-elles pas, légères ? La romance bourdonnait entre les haies mouillées. Un ineffable amour effrayait les oiseaux, les mûres étaient vertes. On marchait en cadence. Un cri de jeune fille émouvait l’air, un grand chapeau tournait à l’angle du chemin, un rire frais montait des églantiers déchirés par les pluies, puis les cœurs battaient lorsque, dans la canicule blanche, la noire grange éteignait le gloussement des poules sous l’azur écarlate de midi.

… Cette guitare, ou une autre, je l’ai entendue dans la cour de mes grand’tantes huguenotes, un soir d’Été, lorsque j’avais quatre ans. La cour dormait au crépuscule blanc, les toits laissaient tomber je ne sais quoi de tendre sur les rosiers grimpants et sur les pavés clairs. On s’égayait, assis sur une poutre, de mon enfance et de mon tablier blanc. Mon grand-oncle chanta quelque mélodie de la Capitale. Je le revois debout, la tête en arrière. L’air tremblait doucement. Il fit, à la fin d’une roulade, un salut ridicule et charmant.

Je te bénis, ô pauvre ville où je suis incompris, où j’abrite mon orgueil, ma souffrance et ma joie, où je n’ai guère d’autres distractions que d’entendre japper ma vieille chienne et que d’apercevoir de pauvres visages. Mais je gagne les coteaux où l’ajonc épineux s’étend, et j’éprouve, à méditer sur mes chagrins, une douceur bienfaisante ; et c’est la résignation. Ce n’est plus aujourd’hui le rire grossier et dédaigneux du public, ni le doute terrible de tout qui m’inquiète. Le rire de mes détracteurs s’est lassé, et je deviens indifférent à ce que je suis. Cependant, je suis devenu grave envers moi-même et les autres. C’est avec une joie craintive que je considère l’insouciance des heureux. J’ai compris quelle douleur peut éclore de l’amour, et quel aveuglement naître d’un regard. Et c’est à cause de ce que j’ai souffert que je voudrais donner une triste et lente caresse à ceux qui n’ont encore que du bonheur.

La porte ouverte, l’azur, la mouillure de l’herbe et les giroflées, et les jacinthes, et un seul oiseau qui crie, et mes chiens à plat ventre, et les rosiers à tige rose épaisse, le verdissement du lilas, et une cloche qui sonne, une guêpe qui file droit et raye la prairie de son vibrement blond qui s’arrête, hésite, repart, se tait et bourdonne…

Cœurs et chœurs des primevères sur les mousses humides et obscures des bois ; longs fils de rosée rose et bleue flottants et balancés et suspendus — à quoi ? — dans la matinée immatérielle ; rainettes aux paupières dorées dont bat le goitre blanc ; ajoncs dont le parfum de pèche flétrie et de rose, aux chemins déjà torrides, se traîne…

Iris, cris des geais, tourterelles, montagnes de neige bleue qui êtes les rochers de l’azur, champs verts carrés, ruisseau roulant un caillou doré dans le silence ; premiers feuillages des eaux ; frisson qui glace le corps auprès des sources quand le soleil vous cuit les mains…

Aulnes grêles ; marécages torrides où, vers midi, gonflant les vessies de leur gorge, les grises grenouilles rauques se traînent sur les plantes coriaces, tandis que, lentement, du fond de la vase ombreuse et dorée, monte une bulle…

Vignes sèches et tordues ; essaims de fleurs des pêchers roses en vol oblique dans l’azur ; poiriers et roses du Bengale.

Couchers de soleil cerise ; neige nocturne d’un fruitier ; assombrissement vert et transparent des allées ; sommet des collines à sept heures où les arbres sont des éponges de nuit qui, peu à peu, se mêlent à la sévérité de la courbe uniforme qui se gonfle et s’élance, nette.

Nuit sans étoiles ; nuit violette où se distinguent à peine les sandales blanches d’une paysanne aimée, et le hérissement d’arbres grêles et secs ; pâleur d’un coteau calcaire, et eau, où je ne sais quoi fait deux ombres longues et profondes…

Nuit ; feu ; lignes d’ombre mêlées à l’ombre des lignes ; feu ; épaississement humide des champs ; feu ; cramoisissure et roussissure de nuages ; peupliers ; blancheur qui doit être un village. De l’eau encore, de l’eau et des ombres d’eau…

Une étoile, deux étoiles, trois étoiles, quatre étoiles. Elles palpitent comme de l’eau. On dirait qu’elles vont couler sur la route ou, par places, des vaches ayant pissé, on croit à des obstacles et l’on saute…

Une voiture passe. La lanterne n’éclaire que le derrière du cheval, le reste est de la nuit. Quand j’étais enfant c’était ce qui m’étonnait : cette lumière qui s’éteint encore. Une autre voiture… On ne voit que le buste rose d’une fille. Il glisse dans la nuit…

Je reviens de voyage. Le souvenir d’un reflet marron de bateau, dans le canal couleur de poisson gris, fait trembler ma mémoire. Je songe à des tulipes blanches.

Ici, je suis revenu la nuit. Le coassement des grenouilles m’a salué, du fond de la prairie humide. Mon cœur, n’éclate pas !… Que tu n’éclates pas comme les lilas du parterre dont je n’ai frôlé que le parfum !…

L’espoir va-t-il renaître ? J’ai peur. Est-ce encore la désillusion ?

La guêpe a bourdonné. Je n’aime que le lilas violet, je n’aime que les violettes bleues. C’est dimanche, et j’entends, dans mon âme profonde, gronder les harmoniums des pauvres églises.

Ma vie, voici ma vie, ardente et triste comme une flamme qui brûle par un trop tiède soir d’été, auprès de la fenêtre ouverte. Une brise insensible a gonflé tout à coup le rideau de mousseline, comme mon cœur.

Le Printemps fait silence dans mon âme.

Au moment où je viens d’écrire cette phrase, j’entends le premier rossignol qui chante dans l’azur vert du soleil mouillé.

Je succombe en l’entendant. Il me semble qu’à l’écouter ma poitrine va se briser. Quelles ombres bleues et quels soleils rouges vont pour moi tourner aux cadrans solaires des vieux domaines ? Par la porte du salon j’aperçois une tulipe. Elle est immobile sur l’immobilité de l’herbe touffue et dorée. Ô Clara d’Ellébeuse, je sens la lourdeur d’une de tes boucles blondes sur ma tempe. Qui es-tu donc ?

Dans le jardin, le parfum des lilas me fait mal tout à coup parce que je suis horriblement triste.

Cependant, lilas, tu m’es cher depuis l’enfance. Alors je considérais tes grappes qui étaient les belles images vernies d’une boîte à jouet.

Et tu hantais aussi, lilas, un verger familier à mon jeune âge. Dans ce verger, il y avait des hérissons. Ils glissaient au long de vieilles poutres. Qu’ils sont innocents et doux, malgré leurs pics, les hérissons ! Je me souviens de mon émoi un soir d’hiver que j’en trouvai un au seuil de la cuisine, chassé par la neige et fourrant son petit groin dans des détritus laissés là…

J’aime les êtres de la nuit, les chouettes au vol souple, les chauves-souris, les blaireaux, toutes les bêtes craintives qui glissent dans l’air ou dans l’herbe et que nous connaissons peu. Quelles fêtes se donnent-elles parmi les plantes, leurs sœurs ?

À l’heure où l’homme repose, les lapins argentés par la rosée bondissent sur les menthes des sillons et tiennent des conciliabules ; les grenouilles coassent dans la mare, y clapotent ; les vers luisants filtrent leur molle et humide lueur jaune ; la taupe fore la prairie ; le rossignol sanglote comme une fontaine ; le hibou fait entendre ses tristes rires comme s’il s’associait lui aussi, mais timidement, à la joie de Dieu.

Combien j’aurais voulu être une bête de la nuit, un lièvre frémissant dans une haie d’aubépine, un blaireau frôlé par les feuilles des juteux maïs verts. Je n’aurais eu que les soucis de ma défense physique. Je n’aurais pas aimé. Je n’aurais pas espéré.

Hier, j’ai entendu le premier pipeau du printemps. Je me souviens de ces vers de moi écrits à propos des Charmettes et de Mme de Warens :

Doux asiles ! Douces années ! Douces retraites !
Les sifflets d’aulnes frais criaient parmi les hêtres…et je songe aux crépuscules d’enfance.

Que c’est loin tout cela, et comment ai-je vécu ? Je jette un regard en moi-même, et n’y trouve que désolation. Non, personne moins que moi n’a cru aux hommes, pas même toi, ô doux génie ami, qui reposas dans l’île aux frais peupliers. La méchanceté des meilleurs est terrible, l’hypocrisie des plus vrais est infinie. Ô mes pauvres chiens aux yeux tristes, sentez-vous lorsque je caresse lentement vos crânes bas, toute l’effusion de mon cœur ? Ô bonté que vous êtes, doux êtres de Dieu qui n’avez d’autre défaut que de lécher le fond d’un plat, craintifs, la queue au ventre, et craignant que l’on ne vous batte…

La douleur que j’attendais, la voici. Elle est là, palpable. Elle est venue, seconde par seconde, hésitante, puis sûre. J’avais cru que je trébucherais sous elle. Non. Je me suis levé avec une amertume courageuse dans le cœur. J’ai pris mon bâton, sifflé mes chiens et je suis parti à travers bois. En moins de trois jours, et quoique l’almanach dise encore le printemps de Mai, l’Été a bourdonné. J’ai gagné le village de Balansun. Les potagers paysans flambent sous leur triste beauté, élèvent au ciel les rousses giroflées, ces fleurs éternellement flétries. J’ai cueilli dans la haie du presbytère une rose et sur elle j’ai douloureusement posé mes lèvres. Le curé m’a fait boire du vin blanc dans la salle à manger glaciale, tandis que mes chiens harassés, couchés dans l’herbe, haletaient. Je pense à ce vers de Charles Guérin :

« Hélas ! il faut pourtant recommencer à vivre. »

Il me semble que mon existence est aussi lamentable que le sourire d’une fille qui a fait la vie. J’écoute un grillon qui grésille, un âne qui brait. Je songe à cette brebis boursouflée étendue au travers de la route, et morte pour avoir brouté du trèfle sur pied.

Dans ce château d’A*** ruiné et abandonné, sur le perron duquel j’ai déjeuné hier, j’aurais vécu il y a soixante ans. Le long des allées, j’eusse traîné l’existence de ceux qui mouraient jeunes. On m’eût vu, au crépuscule, vêtu d’un carrik, grelotter. Malvina m’eût rejoint sous la tonnelle. Puis un soir d’Octobre, un coup de pistolet dans la chambre du second… Et la grand’mère aurait expliqué : l’oncle est mort. Son fusil a éclaté.