Rudyard Kipling

Traduction par Théo Varlet.

(La chanson que la mère de Toomai chantait à son bébé.)

Shiva qui versa les moissons et qui fit souffler les vents,

Assis aux portes en fleur d’un jour des anciens temps,

Donnait à chacun sa part : vivre, labeur, destinée,

Du mendiant sur le seuil à la tête couronnée.

Toutes choses a-t-il faites, Shiva le Préservateur,

Mahadeo ! Mahadeo ! toutes choses :

L’épine pour le chameau roux, le foin pour les bœufs du labour,

Et le sein des mères pour la tête endormie, ô petit fils de mon amour !

Au riche il donne du blé, du mil au pauvre, il apporte

 

Des reliefs à l’homme saint qui quête de porte en porte,

Au tigre des bestiaux, des charognes au vautour,

Des os aux loups méchants qui la nuit hurlent alentour ;

Nul ne lui parut trop haut, nul ne lui sembla trop bas…

À ses côtés Parvâti suivait chacun de leurs pas ;

Puis, par jeu, de son mari pour éprouver le dessein

Elle prit la sauterelle et la cacha dans son sein !

 

C’est ainsi que fut joué Shiva le Préservateur,

Mahadeo ! Mahadeo ! Viens, regarde,

Très grands sont les chameaux roux, pesants les bœufs de labour,

Mais c’était la Moindre des Petites choses, ô petit fils de mon amour !

 

Lorsque tous furent passés, elle dit, rieuse : Ô Maître,

Tant de milliers d’affamés as-tu donc pu les repaître ?

Shiva, riant, répondit : Tous ont une part, la leur,

Tous, même le tout-petit qui se cache sur ton cœur.

 

La voleuse Parvâti tira de sa robe ouverte

Le moindre des Tout-Petits qui rongeait une herbe verte,

Ce voyant, elle craignit et s’émerveilla devant

Shiva le Dispensateur qui nourrit chaque vivant.

Toutes choses a-t-il faites, Shiva le Préservateur,

Mahadeo ! Mahadeo ! toutes choses :

L’épine pour le chameau roux, le foin pour les bœufs du labour,

Et le sein des mères pour la tête endormie, ô petit fils de mon amour !