Charles Perrault

(1628-1703)

Au pied des célèbres montagnes

Où le Pô s’échappant de dessous ses roseaux,

Va dans le sein des prochaines campagnes

Promener ses naissantes eaux,

vivait un jeune et vaillant Prince,

Les délices de sa Province :

Le ciel, en le formant, sur lui tout à la fois

Versa ce qu’il a de plus rare,

Ce qu’entre ses amis d’ordinaire il sépare,

Et qu’il ne donne qu’aux grands Rois.

Comblé de tous les dons et du corps et de l’âme,

Il fut robuste, adroit, propre au métier de Mars,

Et par l’instinct secret d’une divine flamme,

Avec ardeur il aima les beaux Arts.

Il aima les combats, il aima la victoire,

Les grands projets, les actes valeureux,

Et tout ce qui fait vivre un beau nom dans l’histoire;

Mais son coeur tendre et généreux

Fut encor plus sensible à la solide gloire

De rendre ses Peuples heureux.

Ce tempérament héroïque

Fut obscurci d’une sombre vapeur

Qui, chagrine et mélancolique,

Lui faisait voir dans le fond de son coeur

Tout le beau sexe infidèle et trompeur :

Dans la femme où brillait le plus rare mérite,

Il voyait une âme hypocrite,

Un esprit d’orgueil enivré,

Un cruel ennemi qui sans cesse n’aspire

Qu’à prendre un souverain empire

Sur l’homme malheureux qui lui sera livré.

Le fréquent usage du monde,

Où l’on ne voit qu’Époux subjugués ou trahis,

Joint à l’air jaloux du Pays,

Accrut encor cette haine profonde.

Il jura donc plus d’une fois

Que quand même le Ciel pour lui plein de tendresse

Formerait une autre Lucrèce,

Jamais de l’hyménée il ne suivrait les lois.

Ainsi, quand le matin, qu’il donnait aux affaires,

Il avait réglé sagement

Toutes les choses nécessaires

Au bonheur du gouvernement,

Que du faible orphelin, de la veuve oppressée,

Il avait conservé les droits,

Ou banni quelque impôt qu’une guerre forcée

Avait introduit autrefois,

L’autre moitié de la journée

À la chasse était destinée,

Où les Sangliers et les Ours,

Malgré leur fureur et leurs armes

Lui donnaient encor moins d’alarmes

Que le sexe charmant qu’il évitait toujours.

Cependant ses sujets que leur intérêt presse

De s’assurer d’un successeur

Qui les gouverne un jour avec même douceur,

À leur donner un fils le conviaient sans cesse.

Un jour dans le Palais ils vinrent tous en corps

Pour faire leurs derniers efforts;

Un Orateur d’une grave apparence,

Et le meilleur qui fût alors,

Dit tout ce qu’on peut dire en pareille occurrence.

Il marqua leur désir pressant

De voir sortir du Prince une heureuse lignée

Qui rendît à jamais leur État florissant;

Il lui dit même en finissant

Qu’il voyait un Astre naissant

Issu de son chaste hyménée

Qui faisait pâlir le Croissant.

D’un ton plus simple et d’une voix moins forte,

Le Prince à ses sujets répondit de la sorte :

Le zèle ardent, dont je vois qu’en ce jour

Vous me portez aux noeuds du mariage,

Me fait plaisir et m’est de votre amour

Un agréable témoignage;

J’en suis sensiblement touché,

Et voudrais dès demain pouvoir vous satisfaire :

Mais à mon sens l’hymen est une affaire

Où plus l’homme est prudent, plus il est empêché.

Observez bien toutes les jeunes filles;

Tant qu’elles sont au sein de leurs familles,

Ce n’est que vertu, que bonté,

Que pudeur que sincérité,

Mais sitôt que le mariage

Au déguisement a mis fin

Et qu’ayant fixé leur destin

Il n’importe plus d’être sage,

Elles quittent leur personnage,

Non sans avoir beaucoup pâti,

Et chacune dans son ménage

Selon son gré prend son parti.

L’une d’humeur chagrine, et que rien ne récrée,

Devient une Dévote outrée,

Qui crie et gronde à tous moments;

L’autre se façonne en Coquette

Qui sans cesse écoute ou caquette,

Et n’a jamais assez d’Amants;

Celle-ci des beaux Arts follement curieuse,

De tout décide avec hauteur

Et critiquant le plus habile Auteur

Prend la forme de Précieuse;

Cette autre s’érige en Joueuse,

Perd tout, argent, bijoux, bagues, meubles de prix,

Et même jusqu’à ses habits.

Dans la diversité des routes qu’elles tiennent,

Il n’est qu’une chose où je vois

Qu’enfin toutes elles conviennent,

C’est de vouloir donner la loi.

Or je suis convaincu que dans le mariage

On ne peut jamais vivre heureux,

Quand on y commande tous deux;

Si donc vous souhaitez qu’à l’hymen je m’engage,

Cherchez une jeune beauté

Sans orgueil et sans vanité,

D’une obéissance achevée,

D’une patience éprouvée,

Et qui n’ait point de volonté,

Je la prendrai quand vous l’aurez trouvée.

Le Prince ayant mis fin à ce discours moral,

Monte brusquement à cheval,

Et court joindre à perte d’haleine

Sa meute qui l’attend au milieu de la plaine.

Après avoir passé des prés et des guérets,

Il trouve ses Chasseurs couchés sur l’herbe verte;

Tous se lèvent et tous alertes

Font trembler de leurs cors les hôtes des forêts.

Des chiens courants l’aboyante famille,

Deçà, delà, parmi le chaume brille,

Et les limiers à l’oeil ardent

Qui du fort de la Bête à leur poste reviennent,

Entraînent en les regardant

Les forts valets qui les retiennent.

S’étant instruit par un des siens

Si tout est prêt, si l’on est sur la trace,

Il ordonne aussitôt qu’on commence la chasse,

Et fait donner le Cerf aux chiens.

Le son des cors qui retentissent,

Le bruit des chevaux qui hennissent

Et des chiens animés les pénétrants abois,

Remplissent la forêt de tumulte et de trouble,

Et pendant que l’écho sans cesse les redouble,

S’enfoncent avec eux dans les plus creux du bois.

Le Prince, par hasard ou par sa destinée,

Prit une route détournée

Où nul des Chasseurs ne le suit;

Plus il court, plus il s’en sépare :

Enfin à tel point il s’égare

Que des chiens et des cors il n’entend plus le bruit.

L’endroit où le mena sa bizarre aventure,

Clair de ruisseaux et sombre de verdure,

Saisissait les esprits d’une secrète horreur;

La simple et naïve Nature

S’y faisait voir et si belle et si pure,

Que mille fois il bénit son erreur

Rempli des douces rêveries

Qu’inspirent les grands bois, les eaux et les prairies,

Il sent soudain frapper et son coeur et ses yeux

Par l’objet le plus agréable,

Le plus doux et le plus aimable

Qu’il eût jamais vu sous les Cieux.

C’était une jeune Bergère

Qui filait aux bords d’un ruisseau,

Et qui conduisant son troupeau,

D’une main sage et ménagère

Tournait son agile fuseau.

Elle aurait pu dompter les coeurs les plus sauvages;

Des lys, son teint a la blancheur

Et sa naturelle fraîcheur

S’était toujours sauvée à l’ombre des bocages :

Sa bouche, de l’enfance avait tout l’agrément,

Et ses yeux qu’adoucit une brune paupière,

Plus bleus que n’est le firmament,

Avaient aussi plus de lumière.

Le Prince, avec transport, dans le bois se glissant,

Contemple les beautés dont son âme est émue,

Mais le bruit qu’il fait en passant

De la Belle sur lui fit détourner la vue;

Dès qu’elle se vit aperçue,

D’un brillant incarnat la prompte et vive ardeur

De son beau teint redoubla la splendeur,

Et sur son visage épandue,

Y fit triompher la pudeur.

Sous le voile innocent de cette honte aimable,

Le Prince découvrit une simplicité,

Une douceur, une sincérité,

Dont il croyait le beau sexe incapable,

Et qu’il voit là dans toute leur beauté.

Saisi d’une frayeur pour lui toute nouvelle,

Il s’approche interdit, et plus timide qu’elle,

Lui dit d’une tremblante voix,

Que de tous ses veneurs il a perdu la trace,

Et lui demande si la chasse

N’a point passé quelque part dans le bois.

Rien na paru, Seigneur dans cette solitude,

Dit-elle, et nul ici que vous seul n’est venu;

Mais n’ayez point d’inquiétude,

Je remettrai vos pas sur un chemin connu.

De mon heureuse destinée

Je ne puis, lui dit-il, trop rendre grâce aux Dieux;

Depuis longtemps je fréquente ces lieux,

Mais j’avais ignoré jusqu’à cette journée

Ce qu’ils ont de plus précieux.

Dans ce temps elle voit que le Prince se baisse

Sur le moite bord du ruisseau,

Pour étancher dans le cours de son eau

La soif ardente qui le presse.

Seigneur, attendez un moment,

Dit-elle, et courant promptement

Vers sa cabane, elle y prend une tasse

Qu’avec joie et de bonne grâce,

Elle présente à ce nouvel Amant.

Les vases précieux de cristal et d’agate

Où l’or en mille endroits éclate,

Et qu’un Art curieux avec soin façonna,

N’eurent jamais pour lui, dans leur pompe inutile,

Tant de beauté que le vase d’argile

Que la Bergère lui donna.

Cependant pour trouver une route facile

Qui mène le Prince à la Ville,

Ils traversent des bois, des rochers escarpés

Et de torrents entrecoupés;

Le Prince n’entre point dans de route nouvelle

Sans en bien observer tous les lieux d’alentour

Et son ingénieux Amour

Qui songeait au retour

En fit une carte fidèle.

Dans un bocage sombre et frais

Enfin la Bergère le mène,

Où de dessous ses branchages épais

Il voit au loin dans le sein de la plaine

Les toits dorés de son riche Palais.

S’étant séparé de la Belle,

Touché d’une vive douleur,

À pas lents il s’éloigne d’Elle,

Chargé du trait qui lui perce le coeur;

Le souvenir de sa tendre aventure

Avec plaisir le conduisit chez lui.

Mais dès le lendemain il sentit sa blessure,

Et se vit accablé de tristesse et d’ennui.

Dès qu’il le peut il retourne à la chasse,

Où de sa suite adroitement

Il s’échappe et se débarrasse

Pour s’égarer heureusement.

Des arbres et des monts les cimes élevées,

Qu’avec grand soin il avait observées,

Et les avis secrets de son fidèle Amour,

Le guidèrent si bien que malgré les traverses

De cent routes diverses,

De sa jeune Bergère il trouva le séjour.

Il sut qu’elle n’a plus que son Père avec elle,

Que Griselidis on l’appelle,

Qu’ils vivent doucement du lait de leurs brebis,

Et que de leur toison qu’elle seule elle file,

Sans avoir recours à la ville,

Ils font eux-mêmes leurs habits.

Plus il la voit, plus il s’enflamme

Des vives beautés de son âme

Il connaît en voyant tant de dons précieux,

Que si la Bergère est si belle,

C’est qu’une légère étincelle

De l’esprit qui l’anime a passé dans ses yeux.

Il ressent une joie extrême

D’avoir si bien placé ses premières amours;

Ainsi sans plus tarder il fit dès le jour même

Assembler son Conseil et lui tint ce discours :

Enfin aux Lois de l’Hyménée

Suivant vos voeux je me vais engager;

Je ne prends point ma femme en Pays étranger,

Je la prends parmi vous, belle, sage, bien née,

Ainsi que mes aïeux ont fait plus d’une fois.

Mais j’attendrai cette grande journée

A vous informer de mon choix.

Dès que la nouvelle fut sue,

Partout elle fut répandue.

On ne peut dire avec combien d’ardeur

L’allégresse publique

De tous côtés s’explique;

Le plus content fut l’Orateur,

Qui par son discours pathétique

Croyait d’un si grand bien être l’unique Auteur

Qu’il se trouvait homme de conséquence !

Rien ne peut résister à la grande éloquence,

Disait-il sans cesse en son coeur

Le plaisir fut de voir le travail inutile

Des Belles de toute la Ville

Pour s’attirer et mériter le choix

Du Prince leur Seigneur qu’un air chaste et modeste

Charmait uniquement et plus que tout le reste,

Ainsi qu’il l’avait dit cent fois.

D’habit et de maintien toutes elles changèrent,

D’un ton dévot elles toussèrent,

Elles radoucirent leurs voix,

De demi-pied les coiffures baissèrent,

La gorge se couvrit, les manches s’allongèrent,

À peine on leur voyait le petit bout des doigts.

Dans la Ville avec diligence,

Pour l’Hymen dont le jour s’avance,

On voit travailler tous les Arts :

Ici se font de magnifiques chars

D’une forme toute nouvelle,

Si beaux et si bien inventés,

Que l’or qui partout étincelle

En fait la moindre des beautés.

Là pour voir aisément et sans aucun obstacle

Toute la pompe du spectacle,

On dresse de longs échafauds,

Ici de grands Arcs triomphaux

Où du Prince guerrier se célèbre la gloire,

Et de l’Amour sur lui l’éclatante victoire.

Là, sont forgés d’un art industrieux,

Ces feux qui par les coups d’un innocent tonnerre,

En effrayant la Terre,

De mille astres nouveaux embellissent les Cieux.

Là d’un ballet ingénieux

Se concerte avec soin l’agréable folie,

Et là d’un Opéra peuplé de mille Dieux,

Le plus beau que jamais ait produit l’Italie,

On entend répéter les airs mélodieux.

Enfin, du fameux Hyménée,

Arriva la grande journée.

Sur le fond d’un Ciel vif et pur

À peine l’Aurore vermeille

Confondait l’or avec l’azur,

Que partout en sursaut le beau sexe s’éveille;

Le Peuple curieux s’épand de tous côtés,

En différents endroits des Gardes sont postés

Pour contenir la Populace,

Et la contraindre à faire place.

Tout le Palais retentit de clairons,

De flûtes, de hautbois, de rustiques musettes,

Et l’on n’entend aux environs

Que des tambours et des trompettes.

Enfin le Prince sort entouré de sa Cour

Il s’élève un long cri de joie,

Mais on est bien surpris quand au premier détour,

De la Forêt prochaine on voit qu’il prend la voie,

Ainsi qu’il faisait chaque jour.

Voilà, dit-on, son penchant qui l’emporte,

Et de ses passions, en dépit de l’Amour,

La Chasse est toujours la plus forte.

Il traverse rapidement

Les guérets de la plaine et gagnant la montagne,

Il entre dans le bois au grand étonnement

De la Troupe qui l’accompagne.

Après avoir passé par différents détours,

Que son coeur amoureux se plaît à reconnaître,

Il trouve enfin la cabane champêtre,

Où logent ses tendres amours.

Griselidis de l’Hymen informée,

Par la voix de la Renommée,

En avait pris son bel habillement;

Et pour en aller voir la pompe magnifique,

De dessous sa case rustique

Sortait en ce même moment.

Où courez-vous si prompte et si légère ?

Lui dit le Prince en l’abordant

Et tendrement la regardant;

Cessez de vous hâter trop aimable Bergère :

La noce où vous allez, et dont je suis l’Epoux,

Ne saurait se faire sans vous.

Oui, je vous aime, et je vous ai choisie

Entre mille jeunes beautés,

Pour passer avec vous le reste de ma vie,

Si toutefois mes voeux ne sont pas rejetés.

Ah ! dit-elle, Seigneur je n’ai garde de croire

Que je sois destinée à ce comble de gloire;

Vous cherchez à vous divertir.

Non, non, dit-il, je suis sincère,

J’ai déjà pour moi votre Père

(Le Prince avait eu soin de l’en faire avertir).

Daignez, Bergère, y consentir,

C’est là tout ce qui reste à faire.

Mais afin qu’entre nous une solide paix

Éternellement se maintienne,

Il faudrait me jurer que vous n’aurez jamais

D’autre volonté que la mienne.

Je le jure, dit-elle, et je vous le promets;

Si j’avais épousé le moindre du Village,

J’obéirais, son joug me serait doux;

Hélas ! combien donc davantage,

Si je viens à trouver en vous

Et mon Seigneur et mon Epoux.

Ainsi le Prince se déclare,

Et pendant que la Cour applaudit à son choix,

Il porte la Bergère à souffrir qu’on la pare

Des ornements qu’on donne aux Épouses des Rois.

Celles qu’à cet emploi leur devoir intéresse

Entrent dans la cabane, et là diligemment

Mettent tout leur savoir et toute leur adresse

À donner de la grâce à chaque ajustement.

Dans cette Hutte où l’on se presse

Les Dames admirent sans cesse

Avec quel art la Pauvreté

S’y cache sous la Propreté;

Et cette rustique Cabane,

Que couvre et rafraîchit un spacieux Platane,

Leur semble un séjour enchanté.

Enfin, de ce Réduit sort pompeuse et brillante

La Bergère charmante;

Ce ne sont qu’applaudissements

Sur sa beauté, sur ses habillements;

Mais sous cette pompe étrangère

Déjà plus d’une fois le Prince a regretté

Des ornements de la Bergère

L’innocente simplicité.

Sur un grand char d’or et d’ivoire,

La Bergère s’assied pleine de majesté;

Le Prince y monte avec fierté,

Et ne trouve pas moins de gloire

À se voir comme Amant assis à son côté

Qu’à marcher en triomphe après une victoire;

La Cour les suit et tous gardent leur rang

Que leur donne leur charge ou l’éclat de leur sang.

La ville dans les champs presque toute sortie

Couvrait les plaines d’alentour

Et du choix du Prince avertie,

Avec impatience attendait son retour.

Il paraît, on le joint. Parmi l’épaisse foule

Du Peuple qui se fend le char à peine roule;

Par les longs cris de joie à tout coup redoublés

Les chevaux émus et troublés

Se cabrent, trépignent, s’élancent,

Et reculent plus qu’ils n’avancent.

Dans le Temple on arrive enfin,

Et là par la chaîne éternelle

D’une promesse solennelle,

Les deux Époux unissent leur destin;

Ensuite au Palais ils se rendent,

Où mille plaisirs les attendent,

Où la Danse, les Jeux, les Courses, les Tournois,

Répandent l’allégresse en différents endroits;

Sur le soir le blond Hyménée

De ses chastes douceurs couronna la journée.

Le lendemain, les différents États

De toute la Province

Accourent haranguer la Princesse et le Prince

Par la voix de leurs Magistrats.

De ses Dames environnée,

Griselidis, sans paraître étonnée,

En Princesse les entendit,

En Princesse leur répondit.

Elle fit toute chose avec tant de prudence,

Qu’il sembla que le Ciel eût versé ses trésors

Avec encor plus d’abondance

Sur son âme que sur son corps.

Par son esprit, par ses vives lumières,

Du grand monde aussitôt elle prit les manières,

Et même dès le premier jour.

Des talents, de l’humeur des Dames de sa Cour,

Elle se fit si bien instruire,

Que son bon sens jamais embarrassé

Eut moins de peine à les conduire

Que ses brebis du temps passé.

Avant la fin de l’an, des fruits de l’Hyménée

Le Ciel bénit leur couche fortunée;

Ce ne fut pas un Prince, on l’eût bien souhaité;

Mais la jeune Princesse avait tant de beauté

Que l’on ne songea plus qu’à conserver sa vie;

Le Père qui lui trouve un air doux et charmant

La venait voir de moment en moment,

Et la Mère encor plus ravie

La regardait incessamment.

Elle voulut la nourrir elle-même :

Ah ! dit-elle, comment m’exempter de l’emploi

Que ses cris demandent de moi

Sans une ingratitude extrême ?

Par un motif de Nature ennemi

Pourrais-je bien vouloir de mon Enfant que j’aime

N’être la Mère qu’à demi ?

Soit que le Prince eût l’âme un peu mois enflammée

Qu’aux premiers jours de son ardeur,

Soit que de sa maligne humeur

La masse se fût rallumée,

Et de son épaisse fumée

Eût obscurci ses sens et corrompu son coeur

Dans tout ce que fait la Princesse,

Il s’imagine voir peu de sincérité.

Sa trop grande vertu le blesse,

C’est un piège qu’on tend à sa crédulité;

Son esprit inquiet et de trouble agité

Croit tous les soupçons qu’il écoute,

Et prend plaisir à révoquer en doute

L’excès de sa félicité.

Pour guérir les chagrins dont son âme est atteinte,

Il la suit, il l’observe, il aime à la troubler

Par les ennuis de la contrainte,

Par les alarmes de la crainte,

Par tout ce qui peut démêler

La vérité d’avec la feinte.

C’est trop, dit-il, me laisser endormir;

Si ses vertus sont véritables,

Les traitements les plus insupportables

Ne feront que les affermir.

Dans son Palais il la tient resserrée,

Loin de tous les plaisirs qui naissent à la Cour

Et dans sa chambre, où seule elle vit retirée,

À peine il laisse entrer le jour

Persuadé que la Parure

Et le superbe Ajustement

Du sexe que pour plaire a formé la Nature

Est le plus doux enchantement

Il lui demande avec rudesse

Les perles, les rubis, les bagues, les bijoux

Qu’il lui donna pour marque de tendresse,

Lorsque de son Amant il devint son Époux.

Elle dont la vie est sans tache,

Et qui n’a jamais eu d’attache

Qu’à s’acquitter de son devoir,

Les lui donne sans s’émouvoir

Et même, le voyant se plaire à les reprendre,

N’a pas moins de joie à les rendre

Qu’elle en eut à les recevoir

Pour m’éprouver mon Époux me tourmente,

Dit-elle, et je vois bien qu’il ne me fait souffrir

Qu’afin de réveiller ma vertu languissante,

Qu’un doux et long repos pourrait faire périr.

S’il n’a pas ce dessein, du moins suis-je assurée

Que telle est du Seigneur la conduite sur moi

Et que de tant de maux l’ennuyeuse durée

N’est que pour exercer ma constance et ma foi.

Pendant que tant de malheureuses

Errent au gré de leurs désirs

Par mille routes dangereuses,

Après de faux et vains plaisirs;

Pendant que le Seigneur dans sa lente justice

Les laisse aller aux bords du précipice

Sans prendre part à leur danger,

Par un pur mouvement de sa bonté suprême,

Il me choisit comme un enfant qu’il aime,

Et s’applique à me corriger.

Aimons donc sa rigueur utilement cruelle,

On n’est heureux qu’autant qu’on a souffert,

Aimons sa bonté paternelle

Et la main dont elle se sert.

Le Prince a beau la voir obéir sans contrainte

À tous ses ordres absolus :

Je vois le fondement de cette vertu feinte,

Dit-il, et ce qui rend tous mes coups superflus,

C’est qu’ils n’ont porté leur atteinte

Qu’à des endroits où son amour n’est plus.

Dans son Enfant, dans la jeune Princesse,

Elle a mis toute sa tendresse;

À l’éprouver si je veux réussir,

C’est là qu’il faut que je m’adresse,

C’est là que je puis m’éclaircir

Elle venait de donner la mamelle

Au tendre objet de son amour ardent,

Qui couché sur son sein se jouait avec elle,

Et riait en la regardant :

Je vois que vous l’aimez, lui dit-il, cependant

Il faut que je vous l’ôte en cet âge encor tendre,

Pour lui former les moeurs et pour la préserver

De certains mauvais airs qu’avec vous l’on peut prendre;

Mon heureux sort m’a fait trouver

Une Dame d’esprit qui saura l’élever

Dans toutes les vertus et dans la politesse

Que doit avoir une Princesse.

Disposez-vous à la quitter,

On va venir pour l’emporter

Il la laisse à ces mots, n’ayant pas le courage,

Ni les yeux assez inhumains,

Pour voir arracher de ses mains

De leur amour l’unique gage;

Elle de mille pleurs se baigne le visage,

Et dans un morne accablement

Attend de son malheur le funeste moment.

Dès que d’une action si triste et si cruelle

Le ministre odieux à ses yeux se montra,

Il faut obéir lui dit-elle;

Puis prenant son Enfant qu’elle considéra,

Qu’elle baisa d’une ardeur maternelle,

Qui de ses petits bras tendrement la serra,

Toute en pleurs elle le livra.

Ah ! que sa douleur fut amère !

Arracher l’enfant ou le coeur

Du sein d’une si tendre Mère,

C’est la même douleur

Près de la Ville était un Monastère,

Fameux par son antiquité,

Où des Vierges vivaient dans une règle austère,

Sous les yeux d’une Abbesse illustre en piété.

Ce fut là que dans le silence,

Et sans déclarer sa naissance,

On déposa l’Enfant, et des bagues de prix,

Sous l’espoir d’une récompense

Digne des soins que l’on en aurait pris.

Le Prince qui tâchait d’éloigner par la chasse

Le vif remords qui l’embarrasse

Sur l’excès de sa cruauté,

Craignait de revoir la Princesse,

Comme on craint de revoir une fière Tigresse

À qui son faon vient d’être ôté;

Cependant il en fut traité

Avec douceur avec caresse,

Et même avec cette tendresse

Qu’elle eut aux plus beaux jours de sa prospérité.

Par cette complaisance et si grande et si prompte,

Il fut touché de regret et de honte;

Mais son chagrin demeura le plus fort :

Ainsi, deux jours après, avec des larmes feintes,

Pour lui porter encor de plus vives atteintes,

Il lui vint dire que la Mort

De leur aimable Enfant avait fini le sort.

Ce coup inopiné mortellement la blesse,

Cependant malgré sa tristesse,

Ayant vu son Époux qui changeait de couleur

Elle parut oublier son malheur

Et n’avoir même de tendresse

Que pour le consoler de sa fausse douleur

Cette bonté, cette ardeur sans égale

D’amitié conjugale,

Du Prince tout à coup désarmant la rigueur

Le touche, le pénètre et lui change le coeur

Jusque-là qu’il lui prend envie

De déclarer que leur Enfant

Jouit encore de la vie;

Mais sa bile s’élève et fière lui défend

De rien découvrir du mystère

Qu’il peut être utile de taire.

Dès ce bienheureux jour telle des deux Époux

Fut la mutuelle tendresse,

Qu’elle n’est point plus vive aux moments les plus doux

Entre l’Amant et la Maîtresse.

Quinze fois le Soleil, pour former les saisons,

Habita tour à tour dans ses douze maisons,

Sans rien voir qui les désunisse;

Que si quelquefois par caprice

Il prend plaisir à la fâcher

C’est seulement pour empêcher

Que l’amour ne se ralentisse,

Tel que le Forgeron qui pressant son labeur

Répand un peu d’eau sur la braise

De sa languissante fournaise

Pour en redoubler la chaleur

Cependant la jeune Princesse

Croissait en esprit et en sagesse;

À la douceur à la naïveté

Qu’elle tenait de son aimable Mère,

Elle joignit de son illustre Père

L’agréable et noble fierté;

L’amas de ce qui plaît dans chaque caractère

Fit une parfaite beauté.

Partout comme un Astre elle brille;

Et par hasard un Seigneur de la Cour

Jeune, bien fait et plus beau que le jour

L’ayant vu paraître à la grille,

Conçut pour elle un violent amour

Par l’instinct qu’au beau sexe a donné la Nature,

Et que toutes les beautés ont

De voir l’invisible blessure

Que font leurs yeux, au moment qu’ils la font,

La Princesse fut informée

Qu’elle était tendrement aimée.

Après avoir quelque temps résisté

Comme on le doit avant que de se rendre,

D’un amour également tendre

Elle l’aima de son côté.

Dans cet Amant, rien n’était à reprendre,

Il était beau, vaillant, né d’illustres aïeux

Et dès longtemps pour en faire son Gendre.

Sur lui le Prince avait jeté les yeux.

Ainsi donc avec joie il apprit la nouvelle

De l’ardeur tendre et mutuelle

Dont brûlaient ces jeunes Amants;

Mais il lui prit une bizarre envie

De leur faire acheter par de cruels tourments

Le plus grand bonheur de leur vie.

Je me plairai, dit-il, à les rendre contents;

Mais il faut que l’Inquiétude,

Par tout ce qu’elle a de plus rude,

Rende encor leurs feux plus constants;

De mon Épouse en même temps

J’exercerai la patience,

Non point, comme jusqu’à ce jour,

Pour assurer ma folle défiance,

Je ne dois plus douter de son amour;

Mais pour faire éclater aux yeux de tout le Monde

Sa Bonté, sa Douceur sa Sagesse profonde,

Afin que de ces dons si grands, si précieux,

La Terre se voyant parée,

En soit de respect pénétrée,

Et par reconnaissance en rende grâce aux Cieux.

Il déclare en public que manquant de lignée,

En qui l’État un jour retrouve son Seigneur,

Que la fille qu’il eut de son fol hyménée

Étant morte aussitôt que née,

Il doit ailleurs chercher plus de bonheur;

Que l’Épouse qu’il prend est d’illustre naissance,

Qu’en un Couvent on l’a jusqu’à ce jour

Fait élever dans l’innocence,

Et qu’il va par l’hymen couronner son amour.

On peut juger à quel point fut cruelle

Aux deux jeunes Amants cette affreuse nouvelle;

Ensuite, sans marquer ni chagrin, ni douleur,

Il avertit son Épouse fidèle

Qu’il faut qu’il se sépare d’elle

Pour éviter un extrême malheur;

Que le Peuple indigné de sa basse naissance

Le force à prendre ailleurs une digne alliance.

Il faut, dit-il, vous retirer

Sous votre toit de chaume et de fougère

Après avoir repris vos habits de Bergère

Que je vous ai fait préparer

Avec une tranquille et muette constance,

La Princesse entendit prononcer sa sentence;

Sous les dehors d’un visage serein

Elle dévorait son chagrin,

Et sans que la douleur diminuât ses charmes,

De ses beaux yeux tombaient de grosses larmes,

Ainsi que quelquefois au retour du Printemps,

Il fait Soleil et pleut en même temps.

Vous êtes mon Époux, mon Seigneur et mon Maître

(Dit-elle en soupirant, prête à s’évanouir),

Et quelque affreux que soit ce que je viens d’ouïr

Je saurai vous faire connaître

Que rien ne m’est si cher que de vous obéir

Dans sa chambre aussitôt seule elle se retire,

Et là se dépouillant de ses riches habits,

Elle reprend paisible et sans rien dire,

Pendant que son coeur en soupire,

Ceux qu’elle avait en gardant ses brebis.

En cet humble et simple équipage,

Elle aborde le Prince et lui tient ce langage :

Je ne puis m’éloigner de vous

Sans le pardon d’avoir su vous déplaire;

Je puis souffrir le poids de ma misère,

Mais je ne puis, Seigneur, souffrir votre courroux;

Accordez cette grâce à mon regret sincère,

Et je vivrai contente en mon triste séjour

Sans que jamais le Temps altère

Ni mon humble respect, ni mon fidèle amour.

Tant de soumission et tant de grandeur d’âme

Sous un si vil habillement,

Qui dans le coeur du Prince en ce même moment

Réveilla tous les traits de sa première flamme,

Allaient casser l’arrêt de son bannissement.

Ému par de si puissants charmes,

Et prêt à répandre des larmes,

Il commençait à s’avancer

Pour l’embrasser,

Quant tout à coup l’impérieuse gloire

D’être ferme en son sentiment

Sur son amour remporta la victoire,

Et le fit en ces mots répondre durement :

De tout le temps passé j’ai perdu la mémoire,

Je suis content de votre repentir

Allez, il est temps de partir

Elle part aussitôt, et regardant son Père

Qu’on avait revêtu de son rustique habit,

Et qui, le coeur percé d’une douleur amère,

Pleurait un changement si prompt et si subit :

Retournons, lui dit-elle, en nos sombres bocages,

Retournons habiter nos demeures sauvages,

Et quittons sans regret la pompe des Palais;

Nos cabanes n’ont pas tant de magnificence,

Mais on y trouve avec plus d’innocence,

Un plus ferme repos, une plus douce paix.

Dans son désert à grand-peine arrivée,

Elle reprend et quenouille et fuseaux,

Et va filer au bord des mêmes eaux

Où le Prince l’avait trouvée.

Là son coeur tranquille et sans fiel

Cent fois le jour demande au Ciel

Qu’il comble son époux de gloire, de richesses,

Et qu’à tous ses désirs il ne refuse rien;

Un amour nourri de caresses

N’est pas plus ardent que le sien.

Ce cher Époux qu’elle regrette

Voulant encore l’éprouver

Lui fait dire dans sa retraite

Qu’elle ait à venir le trouver.

Griselidis, dit-il, dès qu’elle se présente,

Il faut que la Princesse à qui je dois demain

Dans le Temple donner la main,

De vous et de moi soit contente.

Je vous demande ici tous vos soins, et je veux

Que vous m’aidiez à plaire à l’objet de mes voeux;

Vous savez de quel air il faut que l’on me serve,

Point d’épargne, point de réserve;

Que tout sente le Prince, et le Prince amoureux.

Employez toute votre adresse

À parer son appartement,

Que l’abondance, la richesse,

La propreté, la politesse

S’y fassent voir également;

Enfin songez incessamment

Que c’est une jeune Princesse

Que j’aime tendrement.

Pour vous faire entrer davantage

Dans les soins de votre devoir,

Je veux ici vous faire voir

Celle qu’à bien servir mon ordre vous engage.

Telle qu’aux Portes du Levant

Se montre la naissante Aurore,

Telle parut en arrivant

La Princesse plus belle encore.

Griselidis à son abord

Dans le fond de son coeur sentit un doux transport

De la tendresse maternelle;

Du temps passé, de ses jours bienheureux,

Le souvenir en son coeur se rappelle.

Hélas ! ma fille, en soi-même dit-elle,

Si le Ciel favorable eût écouté mes voeux,

Serait presque aussi grande, et peut-être aussi belle.

Pour la jeune Princesse en ce même moment

Elle prit un amour si vif, si véhément,

Qu’aussitôt qu’elle fut absente,

En cette sorte au Prince elle parla,

Suivant, sans le savoir, l’instinct qui s’en mêla :

Souffrez, Seigneur, que je vous représente

Que cette Princesse charmante,

Dont vous allez être l’Époux,

Dans l’aise, dans l’éclat, dans la pourpre nourrie,

Ne pourra supporter sans en perdre la vie,

Les mêmes traitements que j’ai reçus de vous.

Le besoin, ma naissance obscure,

M’avaient endurcie aux travaux.

Et je pouvais souffrir toutes sortes de maux

Sans peine et même sans murmure;

Mais elle qui jamais n’a connu la douleur

Elle mourra dès la moindre rigueur,

Dès la moindre parole un peu sèche, un peu dure.

Hélas ! Seigneur je vous conjure

De la traiter avec douceur.

Songez, lui dit le Prince avec un ton sévère,

A me servir selon votre pouvoir;

Il ne faut pas qu’une simple Bergère

Fasse des leçons, et s’ingère

De m’avertir de mon devoir

Griselidis, à ces mots, sans rien dire,

Baisse les yeux et se retire.

Cependant pour l’Hymen les Seigneurs invités,

Arrivèrent de tous côtés;

Dans une magnifique salle

Où le Prince les assembla

Avant que d’allumer la torche nuptiale,

En cette sorte il leur parla :

Rien au monde, après l’Espérance,

N’est plus trompeur que l’Apparence;

Ici l’on en peut voir un exemple éclatant.

Qui ne croirait que ma jeune Maîtresse,

Que l’Hymen va rendre Princesse,

Ne soit heureuse et n’ait le coeur content ?

Il n’en est rien pourtant.

Qui pourrait s’empêcher de croire

Que ce jeune Guerrier amoureux de la gloire

N’aime à voir cet Hymen, lui qui dans les Tournois

Va sur tous ses Rivaux remporter la victoire ?

Cela n’est pas vrai toutefois.

Qui ne croirait encor qu’en sa juste colère,

Griselidis ne pleure et ne se désespère ?

Elle ne se plaint point, elle consent à tout,

Et rien n’à pu pousser sa patience à bout.

Qui ne croirait enfin que de ma destinée

Rien ne peut égaler la course fortunée,

En voyant les appas de l’objet de mes voeux ?

Cependant si l’Hymen me liait de ses noeuds,

J’en concevrais une douleur profonde,

Et de tous les Princes du Monde

Je serais le plus malheureux.

L’Énigme vous paraît difficile à comprendre;

Deux mots vont vous la faire entendre,

Et ces deux mots feront évanouir

Tous les malheurs que vous venez d’ouïr.

Sachez, poursuivit-il, que l’aimable Personne

Que vous croyez m’avoir blessé le coeur,

Est ma Fille, et que je la donne

Pour Femme à ce jeune Seigneur

Qui l’aime d’un amour extrême

Et dont il est aimé de même.

Sachez encor que touché vivement

De la patience et du zèle

De l’Épouse sage et fidèle

1166 Que j’ai chassée indignement,

Je la reprends, afin que je répare,

Par tout ce que l’amour peut avoir de plus doux,

Le traitement dur et barbare

Qu’elle a reçu de mon esprit jaloux.

Plus grande sera mon étude

À prévenir tous ses désirs,

Qu’elle ne fut dans mon inquiétude

À l’accabler de déplaisirs;

Et si dans tous les temps doit vivre la mémoire

Des ennuis dont son coeur ne fut point abattu,

Je veux que plus encore on parle de la gloire

Dont j’aurai couronné sa suprême vertu.

Comme quand un épais nuage

A le jour obscurci,

Et que le Ciel de toutes parts noirci,

Menace d’un affreux orage;

Si de ce voile obscur par les vents écarté

Un brillant rayon de clarté

Se répand sur le paysage,

Tout rit et reprend sa beauté;

Telle, dans tous les yeux où régnait la tristesse,

Éclate tout à coup une vive allégresse.

Par ce prompt éclaircissement,

La jeune Princesse ravie

D’apprendre que du Prince elle a reçu la vie

Se jette à ses genoux qu’elle embrasse ardemment.

Son père qu’attendrit une fille si chère,

La relève, la baise, et la mène à sa mère,

À qui trop de plaisir en un même moment

Était presque tout sentiment.

Son coeur, qui tant de fois en proie

Aux plus cuisants traits du malheur,

Supporta si bien la douleur,

Succombe au doux poids de la joie;

À peine de ses bras pouvait-elle serrer

L’aimable Enfant que le ciel lui renvoie,

Elle ne pouvait que pleurer.

Assez dans d’autres temps vous pourrez satisfaire,

Lui dit le Prince, aux tendresses du sang;

Reprenez les habits qu’exige votre rang,

Nous avons des noces à faire.

Au Temple on conduisit les deux jeunes Amants,

Où la mutuelle promesse

De se chérir avec tendresse

Affermit pour jamais leurs doux engagements.

Ce ne sont que Plaisirs, que Tournois magnifiques,

Que Jeux, que Danses, que Musiques,

Et que Festins délicieux,

Où sur Griselidis se tournent tous les yeux,

Où sa patience éprouvée

Jusque au Ciel est élevée

Par mille éloges glorieux :

Des Peuples réjouis la complaisance est telle

Pour leur Prince capricieux,

Qu’ils vont jusqu’à louer son épreuve cruelle,

À qui d’une vertu si belle,

Si séante au beau sexe, et si rare en tous lieux,

On doit un si parfait modèle.s