Pierre Mille
Le canot dériva sept nuits et sept jours…
Les gens, entassés, sans courage pour réagir, ne remuaient déjà plus. Mme Edmée, la chanteuse-charmeuse de pigeons, avait perdu connaissance. Armide et Paul, dans les bras l’un de l’autre, résistaient mieux. Il y a tant de vie dans les enfants !…
Tout à coup, Paul dit, d’une voix presque inintelligible :
— Les pigeons !
Au-dessus du canot, des ailes planaient. Armide et Paul les reconnurent. Elles leur paraissaient pourtant plus grandes, plus confuses qu’ils ne les avaient jamais vues, et comme entourées d’ombre. Elles tournoyaient, toujours plus proches ; elles vissaient leurs spirales dans l’air, au-dessus de cette coque hésitante, où personne ne ramait depuis bien longtemps. Oui, c’était les pigeons ! On avait jeté à la mer, faible secours pour ceux que le choc de l’épave y avait précipités, leurs cages d’osier, après les avoir ouvertes. Alors, ils avaient pris leur vol, les oiseaux d’aventure. Ils avaient cherché, cherché, en cercles toujours plus vastes, une terre pour se nourrir, une fontaine où se désaltérer. Mais ces jours étaient pis que ceux du déluge ! Aussi loin que leur force avait pu les porter, ils n’avaient rien vu, rien que les vagues amères et les glaçons sinistres. Voilà pourquoi ils revenaient, vaincus, vers leur point de départ. Cette pauvre petite chose de désastre qui tremblotait sur les eaux funestes, ils la prenaient pour un abri. Des hommes, il y avait des hommes sur elle ! Ils croyaient, sans doute, que les hommes qui savent donner, quand ils veulent, la mort aux créatures, peuvent aussi toujours les nourrir et les abreuver. Les pattes repliées, les plumes humides, abaissant leur essor épuisé, ils venaient demander du secours avec confiance. Sans pouvoir la comprendre, ils frôlèrent cette agonie. Le grand pigeon d’argent, à la gorge amoureuse, reconnut Mme Edmée. Il s’abattit vers elle, éployé sur son cou, pour la dernière fois.
— … Les pigeons, répondit Armide, qui délirait, font leur tour, le dernier numéro. Alors, c’est fini ; on va bientôt partir !…
Et ce fut bientôt après, comme elle avait dit, qu’Armide et Paul s’en allèrent au pays où l’on dort toujours.