Conte de Léon Tolstoï
Quand le roi de Perse Cambyse eut fait prisonnier le tzar Psamménite, il le fit amener, ainsi que deux mille autres Égyptiens, sur la place publique.
En même temps, il fit habiller de vieilles hardes la fille de Psamménite, ainsi que toutes les filles des grands d’Egypte, et les envoya porter de l’eau.
Lorsque les jeunes filles, en larmes, passèrent devant leurs pères, ceux-ci se mirent à pleurer. Seul, Psamménite ne pleura point, il baissa seulement les yeux.
Puis Cambyse fit défiler le fils de Psamménite et ceux des autres Égyptiens; tous bâillonnés et la corde au cou, on les conduisait au supplice.
Psamménite vit cela, et comprit que son fils allait à la mort.
Mais, comme à la vue de sa fille, il se contint; et tandis que les Égyptiens pleuraient, il baissa les yeux.
Ensuite, Psamménite vit passer devant lui un de ses plus anciens compagnons; celui-ci était riche aupara-vant, et maintenant il mendiait.
Aussitôt que Psamménite l’aperçut, il se frappa la tête de désespoir et fondit en larmes.
Cette douleur inattendue surprit Cambyse, qui lui fit tenir ce discours par ses envoyés :
— Psamménite, ton maître Cambyse demande po-urquoi, quand ta fille fut mise en esclavage et ton fils conduit à la mort, tun’as point pleuré, tandis que la vue d’un pauvre mendiant t’émeut.
Psamménite répondit :
— Dites à Cambyse que mon propre malheur est si grand que je ne puis même plus le déplorer, mais j’ai pi-tié de mon ami, parce que, dans sa vieillesse, de riche qu’il était il est tombé si pauvre.
Un autre tzar, prisonnier lui aussi, se trouvait là; quand il entendit les paroles de Psamménite, son malheur lui ap-parut plus grand, et il se mit à pleurer.
Tous les Perses présents s’attendrirent; Cambyse lui-même parut s’émouvoir : il ordonna d’amener Psamménite devant lui, et de gracier le fils du prisonnier.
On amena donc Psamménite devant Cambyse, qui lui fit grâce; quant à son fils, il était déjà exécuté.